Dans l'ombre du ciel

Dans l’ombre du ciel

Dans ce nouvel épisode de NOIR & BÈGUE 🎙, je reçois Jerry André, Poète contemporain et diplômé d’un Master 2 en Sociologie à Sciences Po.

Jerry est une personne inspirante et apaisante par la profondeur de ses mots. Il nous raconte sa vie avec son bégaiement masqué, ses années passées à l’école prestigieuse Sciences Po en tant que personne noire et bègue.

Jerry est l’auteur d’un recueil poétique « Dans l’ombre du ciel », disponible sur Amazon. Il conte une quête de résilience et d’espoir, semée d’angoisses et de névroses.

Il est également le créateur d’un podcast 🎙️ intitulé « Plongée en Poésie » où il met en voix des poèmes francophones de poètes classiques, modernes et contemporains.

Retrouvez le recueil de poèmes de Jerry ainsi que les liens vers ses initiatives créatives et poétiques sur son site jerryandre.fr

Podcast disponible sur :

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Mike

C’est seulement dans les ténèbres qu’une bougie peut faire l’expérience de sa propre lumière. Je suis Mike Muya, noir, bègue et entrepreneur, fondateur de Snäck’in, agence de création de contenu. Dans noir et bègue, je vous raconte des histoires inspirantes de femmes et d’hommes qui, malgré les obstacles de la vie, parviennent à avancer.     

Bonjour et bienvenue à tous sur ce nouvel épisode de Noir et Bègue. J’ai le plaisir et l’honneur d’être accompagné de Jerry André.                                    

Jerry   

Bonjour Mike.  

Mike   

Comment tu vas ? 

Jerry   

Ça va se faire bien, merci.  

Mike   

En tout cas, merci d’être là et d’avoir accepté mon invitation. Et on va entrer directement dans le vif du sujet. Est-ce que tu peux te présenter ?                                            

Jerry   

Alors je m’appelle Jerry. Jerry André. J’ai 24 ans actuellement. Bientôt 25.

Mike   

Le bel âge.

Jerry   

Un quart de siècle.

Mike   

Ça passe vite. 

Jerry   

Vite. Et je suis surtout poète. Pour moi, c’est mon rôle dans ce monde. En fait, ce c’est peut être pas forcément un métier, je veux dire quelque chose qui me fait gagner ma vie. Mais je suis poète, je mets les ressentis, mes observations, ma perception et celle des autres, parfois en mots. Et sinon, je suis une personne créative.  

En général, j’aime toucher à tout. Design, graphique, web, montage vidéo, réalisation photographie, bref, toutes les formes d’art, d’expression, de création. Pour moi, ça me stimule et ça me nourrit. 

Et j’espère que je pourrais faire une carrière dans ça, ou alors dans quelque chose qui puisse contribuer à la société qui est, qui laisse une marque, mais qui est bénéfique et pas nuisible pour les générations futures et la terre. 

 

Poète bègue

Mike   

Est-ce que ça t’arrive d’écrire sur le bégaiement, sur ton handicap invisible ?

Jerry   

Ça m’est arrivé justement. J’ai publié un recueil en 2021. Dedans, j’ai écrit un poème sur le bégaiement que je n’ai quasiment pas partagé, mais ça me ferait très plaisir de le partager si jamais ça te dit.

Mike   

Écoute avec grand plaisir, si tu peux nous le partager.

Jerry   

Alors ce poème s’intitule Carte blanche, le laissant jusque dans les murs, les oreilles et les regards.                                                                     

Dans leurs yeux, c’est le trépas. Je ne suis pas respecté. Les parties de mon corps ne m’appartiennent plus. Fantasmes lubriques aux yeux d’étrangers. Je deviens robotique quand je ne peux m’échapper, ma voix ne s’allume plus. 

Elle crie intérieurement et quand bien même elle s’exprime, c’est dans un bégaiement inconstant et insensible, inchangé au fil du temps. Je suis un dédoublement le jour et parler devient un effort. 

La nuit, parler devient liberté. Seul. Enfin, je me parle souvent, je deviens fantastique dans une fluidité secrète. Mes mots se déversent en un fleuve serein que sans peine je traverse . 

Mike   

En tout cas très beau, très, très beau.

Jerry

Merci.

Mike

Combien de temps tu as mis à l’écrire ? 

Jerry   

Ça a été instantané. L’écriture en général, pour moi, c’est une explosion d’inspiration qui vient de mon inconscient. Et après, je fais des révisions. Pour ce recueil-là, j’ai fait trois révisions pour chaque poème et donc c’est là que j’embellis les choses que je peux. Je fais attention aux strophes, aux syllabes, au rythme, aux sons, à la mélodie, à toute la structure du poème et toute la structure du recueil.                                                                                                                                                                                                                                                             

Mike   

Ça fait combien de temps que tu écris?

Jerry   

Ça fait une dizaine d’années, une dizaine d’années ou plus, peut être plus. Mais en tout cas, j’ai commencé la poésie il y a environ dix ans et moi au début, c’était vraiment une nuit. Je mettais mes impressions, mes sentiments, mes ressentis et là, si, je les lis à l’heure actuelle, je pense que ça me paraître un peu ridicule, mais ça s’est transformé en quelque chose de plus technique, de plus esthétique.  Sublimer la souffrance et voir le beau.

Mike   

C’était une manière pour toi d’avoir moins mal ? Peut-être.

Jerry   

Moi, je. Je pense que la plupart des artistes, sinon tous, tous les artistes, ont commencé par créer pour eux même avant tout par un mot pour mettre en mettre, pour concrétiser une vision, accomplir son projet en tant qu’humain, influencer le monde. 

Et puis aussi, c’est une sorte d’alchimie, transformer ces énergies internes, surtout ses tensions, ses tourments, en quelque chose d’autre, et produire quelque chose qui peut déclencher dans la personne une émotion qui n’est pas du tout une vision qui n’est pas du tout celle que l’artiste avait envisagée par exemple.  

Mais c’est ça la beauté de l’art et c’est ça la polysémie. Tous les sens qu’on y voit et parfois peut-être pas le sens premier du créateur ou de la créatrice, mais ça fait partie du jeu.    

Mike   

Et comment tu vois la suite dans la poésie ? Est-ce que tu aimes écrire d’autres textes sur le bégaiement ou sur d’autres choses ?                                                                                                                                                                                                                                                                   

Jerry   

J’écris tellement sur tellement de sujets. Au final, c’est difficile de répondre à la question sur quoi j’écris, quels sont mes thèmes phares ? Évidemment, il y a de grands thèmes qui reviennent et ça dépend des périodes de ma vie. Pour moi, je suis juste dans mes élans inconscients. 

Ce recueil, par exemple, c’est la compilation de cinq années de poèmes qui, après cinq années que j’ai, c’est comme si j’avais fait une sorte de réinitialisation, une sorte d’OK, je me pose. 

Voilà ce qui s’est passé dans ces cinq dernières années. C’est cinq dernières années dans ma vie, dans mon esprit, et voilà comment ça s’est traduit en poésie. Et donc, qu’est-ce que j’y vois donc ? Quelle est l’histoire ? 

Quels sont le sens et les symboles que je vois ? Et en les agencements les organisant, je organise un peu mon esprit, mon inconscient. J’y vois des choses sur moi même qui peuvent me permettre d’un après un jour de voir soi, c’est la première étape pour changer ce qu’on aimerait changer.  

Mike   

Où est ce qu’on peut trouver un recueil ?   

Jerry   

Pour l’instant, il est juste sur Amazon parce que je l’ai auto-édité.  

Mike   

C’est déjà énorme, il est sur Amazon, donc ça veut dire que tout le monde peut le commander.

Jerry   

C’est ça.

Mike   

Écoute. On mettra un lien dans la description de l’épisode pour tous ceux et celles qui souhaitent lire ces belles poésies pourront y avoir accès directement. Avant d’être là aujourd’hui, donc tu as dû encaisser pas mal de choses dans ton enfance, dans ton adolescence. Et comme je dis souvent, c’est que là qui le connaît aujourd’hui, c’est l’enfant d’hier.                                                                       

Et moi, j’aimerais parler d’hier. Est-ce que tu peux me raconter hier ? C’était comment quand tu étais enfant ? Comment ça s’est passé avec ton bégaiement ? 

Jerry   

Pour moi, le bégaiement, c’était une question sans l’être. C’était un problème sans l’être. Moi, je dis ça parce que ça fait partie des expériences et des questionnements que moi même  je vivais, mais qui n’était pas partagé par mon entourage et dont je n’avais pas beaucoup. Je n’avais pas vraiment de lien ou de personnel qui faire discuter de choses.                                                                                                                                                                                                                                                 

Et dans ma famille, en plus, on a, on ne parle pas trop de choses, on reste assez superficielles. Il n’y a pas beaucoup, il n’y a pas de communication profonde, il n’y a pas vraiment beaucoup d’affection et donc ça, ça fait partie du jeu. 

Hum, ça a joué dans mon expérience et dans mes et dans la façon dont je dois gérer mes expériences et mes questionnements. C’est-à-dire de façon très interne. Introverti, seul avec moi-même. 

Mike   

Tu étais un enfant isolé. 

Jerry   

Oui, plutôt je. J’ai été introverti. Je passais pas mal de temps à lire, à écrire, à être sur l’ordi, à aller dans mon coin et ça va. J’étais assez bien dedans, mais c’était aussi un mécanisme de défense par rapport à la violence que je vivais dans mon enfance. Quoi ? Et le bégaiement, je le vivais comme quelque chose qui, dans ma famille, en fait, ça allait, puisqu’on n’en parlait pas comme si c’était quelque chose qu’il y avait à corriger.  

Mes parents ne m’ont jamais emmené voir un orthophoniste  et en même temps, quand j’étais jeune, je leur ai demandé, mais pourquoi vous ne m’emmenez pas, parce que j’aimerais. Comme je ne sais pas, j’ai quand même un petit souci. Moi, je le sens parfois. Les gens l’entendent et le sentent, mais on ne l’a jamais fait. Et puis j’ai fini par moi même, de manière peut-être inconsciente et automatique ou intuitive de le masquer. 

J’ai un bégaiement masqué. Du coup, il y a beaucoup de gens qui vont me dire que je ne bégaie pas, mais les personnes qui ont l’oreille, les comédiens, les comédiennes par exemple. En tout cas, l’une d’elles que j’ai rencontrées il y a un an, on m’a dit : ton souffle, ton rythme est particulier. Je trouve.

Et ça m’a surpris et je me suis dit Oui, effectivement, j’ai un souffle particulier parce que je suis poète et je suis bègue. Et du coup, j’aime parler, j’aime partager, j’aime bavarder.

Donc il a fallu que j’apprivoise ma parole d’une façon ou d’une autre pour me faire entendre un minimum, même si ça n’enlève pas l’inconfort que je peux ressentir dans certaines situations à la censure, tout l’Iceberg de la personne bègue, je le ressens aussi.                                                                                                                                                                                                                                                                    

Mike   

Et la scolarité, ça a été malgré tout.  

Jerry   

Ça a été vraiment, ça a été. J’ai eu la chance d’être dans des environnements où il n’y avait pas vraiment d’intimidation. Les personnes qui y étaient, le bullying, le harcèlement scolaire ou autre. Par rapport à mon bégaiement, ça, je l’ai. Je ne l’ai jamais connu.

Mike   

Tant mieux. `

Jerry   

Tant mieux. Effectivement, on m’a fait quelques remarques, mais les remarques les plus blessantes et celles qui marquent mes souvenirs, c’est celle de mes proches. En fait, c’est que lorsque mon frère s’était moqué de mon bégaiement, tu vois, ça m’a un peu blessé parce que ce n’est pas quelque chose que tu peux contrôler.  

Mais voilà, à part ça, franchement, je dis ça, mais ça ne m’a pas vraiment empêché de prendre la parole quand même.                                                                                                                                                                                                                                                             

Scolarité

Mike   

Et tu as fait quoi comme études après ?     

Jerry   

Après, je suis entré à Sciences Po en écoutant dans la grande école des Sciences Po, et là, c’était les plus difficiles.                                                                                                                                                                                                                                                                    

Mike   

Et pourquoi c’était plus difficile alors que la plus grande partie de ta scolarité ça a été ?

Jerry   

Parce qu’à ce moment-là, mon estime de moi-même a commencé à baisser et donc les problèmes que j’avais,  à dire, ce qui me différencie de la norme comme on s’est apaisé plus que plus qu’avant parce que d’habitude j’ai pris conscience de certaines choses, j’ai une conscience plus plus critique, plus sociologique du monde dans lequel on vivait, des privilèges qu’on avait ou non, par exemple le privilège de la parole libre et fluide.  

Et ce n’est pas quelque chose que j’expérimente sur un jour de ma vie. Quoi ? Je ne pourrais pas, sauf quand je suis seul, sauf quand je suis seul. Là, vraiment, je n’ai aucune tension à l’intérieur de moi que ce soit dû au bégaiement physiquement, que ce soit psychologiquement dû à l’anxiété, soit en rapport avec le bégaiement, soit encore plus profond, tu vois.                                                                                                                                                                                                                                                                  

Mike   

Est-ce que tu dirais que quand j’ai eu cette prise de conscience là et quand tu as eu un peu de tout ce que tu avais eu à traverser, ça a impacté ton bégaiement. Ça l’a influencé davantage. 

Ou est-ce que c’est juste mon rapport au bégaiement qui a changé ? Est-ce que ça a eu un impact réel sur la qualité de ta parole par exemple, quand tu arrives à Sciences Po, franchement.   

Jerry   

C’est un peu difficile de m’en souvenir parce que j’ai bloqué pas mal de souvenirs de Sciences Po. 

Pour moi, ça n’a pas été une bonne expérience. La plupart de mes interventions publiques, je les ai échouées. Mes présentations, j’avais beaucoup de mal à travailler en tête. 

Je n’étais vraiment pas du tout dans un état psychologique de santé stable et sain et ça a impacté toute ma scolarité.     

Mais à mes six années, j’ai fait une année de césure pour me reposer, en tout cas pour essayer de me ressourcer.                                                                                                                                                                                                                                                                    

Mike   

Ça a été l’année de césure?                                                                                                                                                                                                                                                             

Jerry   

Ça été franchement c’était nécessaire. Ça m’a permis de rebondir un peu. Mais voilà, franchement, je ne referai pour rien au monde ces années à Sciences Po. 

Mike   

Et c’est quoi au fond, qui était le plus difficile pour toi ? Et qu’est-ce qui t’a manqué pour justement encaisser tout ça ?

Jerry   

Pour moi, le plus difficile, c’est que c’est intéressant parce que justement le podcast  c’est noir et bègue, tu vois. 

Et pour le coup, mon expérience de personne bègue était pour moi secondaire par rapport à mon expérience de personne noire  dans un environnement à majorité à majorité blanche, comme en France en général.       

Mike   

C’est un obstacle, c’est vrai.    

Jerry   

C’est ça que je veux dire. C’est la gifle de la différence qu’il y a entre toi et les autres, entre toi et le monde. 

Quand tu développes une sorte de conscience sociale, sociologie, critique ou une conscience raciale, une conscience noire, comme diraient certains penseurs, et que tu prends conscience de ta condition en tant qui tu es, tu vois quelle est la condition, quel est le rôle que les autres.   

Sinon, qu’est-ce qu’ils voient en toi, que toi ? Tu ne voyais peut être pas et tu vois qu’il n’y a pas. Il y a peut-être une distance  entre les deux, et ça peut être difficile à avaler quand tu vois.                                                                                                                                                                                                                                                           

Mike   

Et tu n’étais pas préparé à tout ça et tu pensais que le monde y était comme avant d’arriver à Sciences Po.  

Jerry   

Je n’étais pas préparé du tout. J’ai été plus idéaliste que ça avant d’aller à Sciences Po. Mais la fragilisation de mon estime, de ma force, de mon pouvoir a commencé bien avant, dans l’enfance. 

Du coup, je n’étais pas équipé dans mon intimité, dans mon for intérieur, pour gérer la violence du monde et de la hiérarchie sociale. La violence sociale, la violence de classe dit de ce qui nous différencie et nous distancie.                               

Et ça a été, ça a été difficile à gérer. La façon dont j’ai géré moi, c’est de trouver des personnes qui pouvaient m’apporter des perspectives, avec qui je pouvais échanger sur mon expérience, avec qui je pouvais déverser leur frustration ou trouver des solutions, m’épanouir tout simplement.    

Mike   

Corrige moi si je me trompe, mais en t’écoutant, tu avais plus ou moins accepté ton bégaiement, tu arrivais à vivre avec, tu avais développé une certaine aisance avec. Mais sauf que le fait d’être noir, tu ne l’avais pas, anticipé que ça a pu te mettre autant d’obstacles plus tard en devenant grand.

Jerry   

Ouais, c’est ça pour la première partie, pour la première partie sur le bégaiement, c’est un peu plus nuancé que ça. C’est que c’était une acceptation à moitié. C’était juste en fait. OK, j’ai ça. Voilà, je m’y résigne un peu. Mais en réalité, il y a des choses dont je n’ai pas forcément conscience, surtout mes sensations corporelles.

Tu vois, j’ai un peu de mal avec un simple, ça m’a pris du temps à déchiffrer ça d’où la poésie m’aide. 

Et par exemple, j’ai dû prendre conscience et être présent sur le moment pour  voir qu’il y avait des moments où j’étais en groupe dans un petit groupe de personnes que je venais à peine de connaître, par exemple.    

Et je le sais que je vais bégayer. Je me sens mal. En fait, je me sens mal, je ne peux pas. Je ne peux pas lâcher la phrase que je veux  lâcher, parce que je sais que je vais bégayer et la gêne, la honte, en fait, elle est là, tu vois, elle est là.                                                                                                                                                                                                                                          

Et c’est pour ça que le concours, ça a été une sorte de, c’est comme si tu veux, tu vas aller en thérapie. Le thérapeute, le psy, il te piquait là ou ça fait mal. En gros, tu vas là où tu n’as pas trop creusé parce que tu as mis ça dans un coin. Tu te dis peut être peut être un jour ça va disparaître.  

Ou franchement, je pense, j’avais vraiment la pensée magique qu’un jour j’allais me réveiller sans le bégaiement. Tu vois, je sais que c’est bête, mais j’avais vraiment ça cette pensée-là. Et je pense que ce genre de choses me rendait pas forcément compte quoi.                                                                                                                                                                                                                                                                     

Mike   

Et quand tu étais un groupe de personnes, et là, tu disais tout à l’heure que tu savais que tu pensais que tu allais bégayer. Et donc ça veut dire que tu bégayes déjà, même avant de prononcer les mots.                                                                                                                                                                                                                                                               

Jerry   

Le blocage, le blocage était plus. C’est vrai que le blocage était quand même un petit peu plus intense par le passé puisqu’avec l’anticipation du bégaiement et l’anxiété, ça empire les choses. 

En fait, je commence à sentir déjà tendu dans ton corps, donc ça, ça n’aide pas du tout. Tu vois, au contraire, ça, c’est comme si c’est comme si c’était une prophétie autoréalisatrice.  

Et voilà, il avoir peur du regard des autres, du jugement des autres. C’est là, c’est la base de pourquoi mon bégaiement est un bégaiement masqué. En fait, tu vois, c’est parce que mon esprit s’est dit que je ne peux pas être rejeté. Il faut que les gens m’aiment, il faut que je sois normal. Tu vois.         

Mike   

Et pour toi, c’était quoi être normal ?        

Jerry   

C’est avoir une parole fluide.  

Mike   

C’était juste ça pour être normal. 

Jerry   

Entre autres.  Mais moi, je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas être un poète qui ne peut pas réciter un poème. 

Je ne pouvais pas être incapable de parler. Tu vois, je ne pouvais pas être un être humain bègue  et être sentir bien dans le monde quoi. Et avec moi-même. 

Mike   

Aujourd’hui, tu m’as plutôt apaisée de te sentir bien dans le monde dans lequel tu es. Et qu’est-ce qui s’est passé depuis alors ?                                                                                                                                                                                                                                                                     

Jerry   

Ça va beaucoup mieux en tout cas sur ce point-là, parce que rencontrer des personnes bienveillantes, ça transforme, ça guérit. 

Tu crées des relations sur quelque chose qui pour toi étaient source de honte et le mettre, l’ouvrir comme ça aux autres et que les autres le reçoivent de manière, sans jugement, sans critique, sans pitié aussi ça va, il n’y a rien de grave.                                                                     

En fait, il y a, il n’y a pas mort d’homme, tu vois, mais tu commences, ton cerveau commence à intégrer le fait qu’OK, je peux accepter ça. Je peux vivre avec ça. 

Je n’ai pas à avoir peur, je n’ai pas à avoir honte, je n’ai pas à être dans l’anticipation de mon bégaiement. J’ai juste à en parler, à me laisser parler.       

Tu vois, et ça semble facile comme ça. Mais c’est pas, ce n’est pas simple, même à l’heure actuelle ou je te parle, je ne peux pas dire, j’ai accepté à 100% mon bégaiement.     

Mike   

Et toi, comment tu te sens comme noir et bègue ?

Jerry

Question intéressante

Mike

Est-ce que tu penses que c’est une double peine ? Est-ce que tu ressens le fait d’être noir comme une peine ou comme moi ? 

En tout cas, moi, je te donne mon avis en amont et hier, on m’a posé la question. Par exemple, pourquoi j’ai donné le titre Noir et Bègue ?     

Et là, je répondais simplement, c’est que je suis noir et bègue, et c’est mon univers et c’est, c’est mon esprit. 

C’est comme ça  qui est ma vie. Le bégaiement, pour moi, est un handicap. Le fait d’être noir n’est pas un handicap pour moi. Je peux rencontrer, j’ai rencontré des obstacles et peux être que je rencontrais encore des obstacles en tant que noir.   

Mais ce n’est pas un handicap et moi, c’est fait par rapport à ma vie. Ce que j’ai du endurer par rapport au bégaiement, ça des années lumières et des obstacles tellement insurmontables que ma condition d’être noir. 

Est-ce que pour moi, si j’avais l’avantage que je savais que, en étant noir, je peux y arriver, il y a des gens qui sont passés là avant moi, etc. sauf qu’en étant bègue.     

Je n’avais pas cette visibilité-là, je ne me dis pas que ça va être chaud, je ne peux pas même pas m’exprimer. Donc pour moi, c’est que le fait d’être noir, c’était vraiment en arrière plan. 

OK, je peux vivre une situation méprisante du racisme, etc., mais en disant que j’étais tellement à bloc, j’étais tellement déjà un peu un peu préparé à tout ça.  

Sauf que le bégaiement, c’était quelque chose qui pour moi était tellement, tellement grand, voire insurmontable que je me suis dit, mais comment j’allais faire ? 

En fait, quand je pensais à mon avenir, je pensais pas comment j’allais le faire en tant que Noir, je pensais m’en aller faire pour être dans cette société-là, avec le handicap que j’ai qui était le bégaiement.       

Et puis, deuxième chose aussi que j’ai apportée à ma pensée, les gens, ça a été intriguent. Pourquoi noir et bègue, donc oui je suis noir et je suis fier  de l’être, c’est aussi marketing. 

Quand tu entends Noir et Bègue cela t’interpelle, si ça t’interpelle, bah ça peut te donner envie d’écouter. Et si tu écoutes, tu vas être sensibilisé ? Voilà un peu mon approche pour faire une petite parenthèse, et du coup je reviens à toi.                                                                                                                                                                                                                                                               

Jerry   

Personnellement, c’est vrai, c’est plutôt l’inverse pour moi le bégaiement. J’ai réussi à mettre un petit peu en second plan parce que  je le masque. 

Et en fait, ce n’était pas comme quand je dis une question qui je l’avais endormie, tu vois, c’était ok, ça, c’est au second plan. Et là, sur le moment, je ne fais pas ça, telle violence que je peux percevoir.     

Et en fait, c’est l’expérience que j’ai eue à Sciences Po dans la ville et puis à l’intérieur de l’école qui a été moins violente. Tu vois par exemple le fait de se faire interpeller par un inconnu qui était tranquille, un homme blanc qui était sur le balcon, une fête.

Et moi je rentre avec mon skate et cela  crie Un wesh négro, c’est mon accroche dans mon discours de finale et à ce moment-là, j’étais tombé de mon skate justement. Et d’ailleurs j’ai écrit dans mon recueil et j’étais tombé de mon skate. 

Et j’ai senti ça comme une double chute, en fait, parce que c’était la chute de mon humanité, être essentialisé à une caractéristique parce que tu as appris à voir un Blanc dans la rue et dire je ne sais pas, au moins je parle tout comme ça.

Donc j’ai ressenti cette réduction et et ça m’a fait mal. Ça m’a fait mal parce que ce n’est pas la seule fois, c’était il y deux toutefois ou je sentais que ma valeur était remise en question, comme quand j’avais commandé un kebab et que l’on m’avait regardé pendant au moins 30 secondes. Quand je lui dis je suis à Sciences Po, il m’a demandé à toi, tu es à Sciences Po.

Il m’a demandé au moins trois fois et j’ai dit clairement trois fois. Il était aussi incrédule, aussi surpris. Et en fait ce genre de choses en même dans ta famille, tu vois, c’est comme si on avait des représentations dans notre imaginaire collectif qui font que, en fait, un Noir, c’est pas littéraire, ce n’est pas intellectuel et tout. 

Et heureusement qu’on a des figures, de grandes figures. À l’heure actuelle, tu vois, on a, on a de grands penseurs,  de grands théoriciens, de grands artistes, Césaire, Fanon et j’en passe. Tu vois en, mais je ne me sentais pas là. J’avais vraiment peur pour mon point de devenir, parce que tous les hommes de ma famille ou presque, ont fini dans le service public.   

En tant que militaire, ma mère était agente administrative. Je voyais beaucoup de gens, beaucoup de Noirs, tous les Noirs qui étaient autour de moi. Je les voyais faire des choses qui étaient un peu considérées comme du sale boulot, mais évidemment pas tout le monde. 

Mais tu vois, quand tu es, quand tu prends le métro le matin, que tu vois qu’il y a un certain type de personne qu’il remplit à 5 h du mat pour aller nettoyer la merde des gens, aller faire le ménage pour aller libérer des hommes ou les gens qui  vont livrer les repas sur sur leur vélo ou des gens qui qui font du travail, du travail manuel, du travail de construction de bâtiments et autres.

Bref,  tous ces gens, tous ces métiers qui font tenir la société. Tu vois et ça m’a frappé lorsque je me suis demandé si j’avais une. Il n’y avait pas vraiment de modèle. Un proche sur lequel manquerait quoi ? Et dans la famille, j’étais la première personne à aller en grande école. 

Mike   

Et tu as fini les études du coup à Sciences Po. 

Jerry   

Je les ai finis.  

Mike   

Donc c’est ton pari.                                                                                                                                                                                                                                                                

Jerry   

J’ai réussi.

Mike   

Tu t’es senti comment dans le dernier jour?                                              

Jerry   

Enfin, c’est terminé. Enfin, je peux faire quelque chose qui me plait un peu plus, un peu plus, parce que ça m’avait un peu dégoûté tout ça. Mais, mais du coup, en fait, ça marche. Ça m’avait fait me remettre en question et du coup, je me disais, mais qu’est-ce que je vais faire ? Qui je veux être vraiment ?   

Mike   

C’est vrai quand on entend Sciences Po derrière, on dit que tu vas faire une carrière de politique. Alors tu te lances quand?                                                                                                                                                                                                                                                                 

Jerry   

J’aimerais vraiment contribuer à la vie des autres, à rendre la vie des autres meilleures. Tu vois, mais je ne sais pas comme ça. Comme on m’a inséré dans la politique, je n’ai pas vraiment de contacts ou autres. Tu vois.                                                                                                                                                                                                                                                                    

Mike   

Il y a 650000 bègues, on va voter pour toi déjà.   

Jerry   

Et puis  j’ai ça, j’ai surtout peur. En fait, j’ai surtout peur de prendre la parole, de porter mes idées, de débattre avec les gens. J’ai toujours cette anxiété en moi, latente, qui fait que j’ai très, très peur. 

Franchement, j’ai tellement peur du monde, mais je me sens à la fois aussi courageux pour pouvoir l’affronter, pour sortir, pour pouvoir continuer à parler à la fin du mois.       

C’est une sorte d’ambigüité, c’est que j’aime les gens. J’aime ce monde et je crois en l’humanité en quelque sorte. Et en même temps, j’ai peur. Je suis cynique et parfois je suis sans espoir. Mais pour moi, tout ça, c’est un tout. Je ne peux pas. Je ne peux pas abandonner. Ni l’un ni l’autre, quoi.                                                                                                                                                                                                                                                           

Mike   

Aujourd’hui, j’ai toujours peur de prendre la parole.            

Jerry   

Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins peur de prendre la parole. Je sens que cette expérience en à Sciences Po m’avait vraiment mis dans le mal et que ça avait touché mon estime. 

Que l’environnement dans lequel tu es, l’expérience de l’environnement dans lequel tu es, ça joue, ça joue sur comment tu te sens. Et quand j’ai quitté Sciences Po, j’ai commencé à reprendre confiance en moi, à faire certaines choses qui me plaisaient et à gérer.   

Et j’ai remarqué que, en incarnant cette confiance, en fait, je pouvais effectivement faire ce que j’aimais faire, c’est-à-dire parler. En fait à Sciences Po, je me suis. C’est là que vraiment je me suis et je me suis beaucoup censuré et que je n’arrivais plus vraiment. 

Je n’arrivais pas à prendre la parole, je me sentais vraiment bête, je me sentais bête.             

Plus les jours passent et plus je me sentais bête. J’étais passée du premier de la classe à un cancre. 

J’étais défaillant dans pas mal de cours, j’étais absent, je pense. C’était des stratégies d’évitement, d’être absent, d’être toujours en retard, tu vois. Mais ça, c’est inconscient. Mais en gros, j’étais dans l’évitement, tu vois. Et ça, c’est ma réponse l’évitement, l’échappatoire, la fantaisie.                                                        

 Et c’est quelque chose contre lequel je me bats tout le temps. Pour moi, vivre dans le monde, incarner ma corporalité, dit être dans mon corps, tu vois, et assumer mes idées et ma parole. Pour moi, c’est une lutte constante contre un conditionnement qui voudrait que je sois obéissant, sans identité, sans paroles, sans conviction. Tu vois.  

Mike   

Je le vois, et dans quel état d’esprit tu es arrivé au concours d’éloquence ? Parce que tu arrives jusqu’à la finale et donc après Sciences Po.                                                                                                                                                                                                                                                               

Jerry   

C’est d’après Sciences Po.     

Mike   

Et du coup tu avais un peu cette baisse de confiance en toi et malgré tout je t’ai dit tiens, je vais te donner un autre challenge en participant à ce concours. Mais pourquoi tu la fais ce concours ?    

 

Concours d’éloquence

Jerry   

Je me souviens que la première fois que je l’ai vu, c’était je crois que c’était l’année passée, l’année d’avant le concours du bégaiement 3, le deuxième concours en gros et j’avais vu passer l’annonce. 

Mais c’était un peu trop tard et je m’étais dit Ah dommage, j’aurais voulu tenter parce que je n’ai pas le courage de faire un concours d’éloquence pour les personnes fluides.

Mais peut-être que ça, ça sera une première étape pour me donner plus de courage, tu vois. Et donc lorsque je l’annonce pour le troisième concours, je me suis dit il faut que je fasse parce que c’est une expérience à ne pas, à ne pas à ne pas manquer. 

Ça sera l’occasion de qu’être avec d’autres personnes comme moi, de personnes bègues, ça sera l’occasion pour moi de prendre la parole encore plus que ce que je faisais.

Et je visais surtout ma pratique artistique. En fait, pour moi, c’est cette obsession de vouloir dépasser la peur de vouloir incarner totalement et sans honte mon authenticité. Tu vois, pour moi, ça fait partie de mon chemin artistique. En tant que en tant que poète, j’ai des, j’ai des responsabilités. 

Pour moi, un poète a des responsabilités dans ce monde et si tu ne peux pas écrire, si tu as peur de ton écriture et de ta parole, tu ne peux pas être poète.      

Mike   

Une fois que tu arrives, tu t’es inscrit. Comment ça s’est passé après ? Est-ce que tu regrettais ? Tu t’es dit j’ai fait le bon choix et tu peux nous en dire plus sur ton parcours. Est-ce que ça a aidé à retrouver la confiance justement que tu allais chercher en t’inscrivant ?  

Jerry   

Je dirais que ça m’a aidé et qu’en même temps, ça ne m’a pas aidé?  Pourquoi ça m’a aidé ? Parce que la bienveillance, comme je l’ai dit, pour moi, c’est ça transforme. C’est vraiment guérisseur. 

Et à voir tous ces encouragements, c’est en pouvoir la part des autres qu’on puisse se voir les uns les autres au-delà de t’aider des regards, parfois de pitié ou de confusion.

Tu vois que quand les gens disent ce qu’il est, c’est ce qu’il a un petit problème dans ce genre de problèmes psychologiques qu’être un truc de retard mental, je ne sais pas. 

Ou alors il y a de la pitié. Ou alors on va te faire venir des phrases, ou alors on va dire, mais est-ce que si tu parles plus lentement, si tu respires?     

Et cette condescendance, pour moi, c’était insupportable quoi ? Et ça aussi jouait dans le masquage du bégaiement et donc c’était l’occasion de vraiment me laisser parler de moi. Je sais que ça parait bizarre pour certaines personnes, mais pour moi parler normalement c’est bégayer. Tu vois, mais je m’autorise. Soit je ne m’autorise pas, soit en fais à parler finement quand  tu es bègue. 

Pour moi ce n’est pas un souci que tu vois, mais ça dépend d’où vient ce mécanisme. Tu vois, c’est c’est parce que tu as une mauvaise estime de toi. Tu essaies d’être une personne parfaite aux yeux des autres. Ce qui a été mon cas. Tu ne te sens pas, tu, tu te sens agi par peur plus que par ce que, par envie, par vie, par et par je ne sais pas.     

Authenticité et épanouissement, confort, lâcher-prise. Quand tu vois.  

Mike   

Je comprends.   

Jerry   

Et c’est quand même la différence entre agir par peur et être alourdi par ça. Et ça fait beaucoup plus léger. C’est, mais c’est vrai. Et du coup, ça m’a pas trop aidé non plus puisque j’ai un travail plus profond que j’ai à faire et que face à moi, ça a été l’une des pierres fondatrices. Mais c’est quand tu n’as pas d’estime de toi.        

Tu es dans un cercle vicieux, tu vas facilement s’isoler. Tu as facilement de ne pas commettre, faire des actions et donc ne pas faire les actions que tu souhaiterais mener. Ne pas arriver à tes objectifs, ça va te renforcer dans l’idée que chez nous, je ne suis pas capable de faire ça, tu vois. Et quand tu vas faire des actions, tu va les attribuer à la chance d’être bien.    

Parce que quelqu’un m’a aidé, parce que j’ai été chanceux. Et quand les gens vont te féliciter, tu vas te sentir, tu vas dire oui à ce moment, tu vas être, tu vas bien, tu vas sentir à valider, vu, mais au fond de toi, ça rentre dans une oreille, ça ressort  par l’autre, parce que ton esprit est là constamment et bloqué sur le sur la croyance, la réalité sans laquelle tu n’es pas assez, tu ne mérites pas, tu ne mérites pas ça, tu n’es pas à la racine du succès que tu as actuellement à externe. Tu, ça, c’est vraiment difficile à nettoyer quoi ? Est-ce.                                                                                                                                                                                                                                                                   

Mike   

Que de plus tu vas continuer ce travail là ou est ce que tu en es au niveau estime de soi !    

Jerry   

Même ? Ouais, je les ai continués, je ne peux que le continuer au final. Ensuite je suis suivi par un psy. Je vois un psy qui m’aide beaucoup. On a une relation très amicale d’échange et d’avoir des perspectives différentes sur beaucoup de choses. J’ai vu quelques coachs par-ci, par-là. En gros, je fais des recherches. Je fais beaucoup de recherches pour trouver des méthodes pour moi-même, pouvoir regagner l’estime de moi-même, l’amour propre et tout.     

Je dirais qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire, beaucoup de chemin à faire, mais que j’ai beaucoup progressé. Je pense que le plus difficile, c’est l’une des choses les plus difficiles, c’est de faire le deuil de la personne que j’aurais pu être si je n’avais pas été un tiers retardé par tous ces problèmes de santé psychologique et physique, quoi.  

Ça veut dire que c’est la situation dans laquelle je me trouve avec ça, ça et ça, même si j’aurais voulu être une personne parfaite. C’est une personne avec une enfance saine, des fondations saines, avec une vie, avec les expériences, sans trop de remous. Alors qui vois quelque chose qui me qui ne brise pas fait, mais ce n’est pas le cas, je ne suis pas cette personne.   

Mike   

Et ça c’est triste ce que j’ai dit de devoir faire le deuil de la personne que je ne serai jamais. Mais aujourd’hui, tu te dis tu es cette personne que tu devais être un homme et tu vois ce que je veux dire.                                                                                                                                                                                                                                                                      

Jerry   

Je vois exactement ce que tu veux dire.       

Mike   

Et si sans tous ces obstacles, tu n’étais pas qui tu es, ils sont tous ces obstacles. Tu n’aurais pas eu cette force mentale que tu as. Tu n’auras peut-être pas eu ce talent-là que tu as dans la poésie, à écrire, à faire ressentir des émotions.                                                                                                                                                                                                                                                             

Jerry   

Ouais, ça c’est bien, c’est bien vrai, mais j’attribue peut-être pas forcément ça à l’expérience en elle-même et plus à la perception. La réception, est-ce qu’on en fait ? Tu vois un parce que, comme tu l’as dit dans ton dans le deuxième épisode, il me semble, sur l’enfance, le bégaiement, le handicap, les expériences traumatiques peuvent te forger comme elles peuvent tout briser. 

Pour moi, ça brise. Et après, c’est comment tu y réponds ? Est-ce que tu arrives à transformer ça, à faire de l’alchimie justement, à transformer cette énergie, cette expérience, à rebondir ? Ou est-ce que non, tu vois,  faire un long travail ? Pour moi, c’est un travail. Mais faire le deuil, ce n’est pas forcément négatif dans le sens ou c’est aussi me dire que un des choses que j’aurais aimé pouvoir faire, que je pensais, que je devrais faire à l’heure actuelle et que je ne fais pas.

Et je me dis, mais en fait, ce n’est pas, ce n’est pas, ce n’est pas la fin du monde, c’est juste comme ça que c’est bon et c’est juste comme ça que je suis, comme ça que c’est. Mais ça ne veut pas forcément dire que je ne serai pas heureux malgré tout. Tu vois, qu’est ce que je serai ? 

Tu ne sais pas à  92 %, 80 %, je veux dire, parce qu’il y a des choses, tu vois comme si on parlait, ça fait partie de toi. Ce sont des marques ou des séquelles ou des cicatrices qui vont, qui vont rester là, tu vois. Et faire le deuil, c’est aussi accepter qu’il y a ça. Tu vois que j’aurais pu être une personne sans ça, mais que comme tu l’a dit, un homme, ça serait une autre personne.    

Dans tous les cas, ce n’est pas moi. Donc, même si je me pose la question, je n’aurai jamais la réponse. Alors, autant accepter la réalité dans laquelle je me trouve.        

Mike   

Et du coup, je veux en profiter de ce que tu viens de dire par rapport à l’épisode que tu avais écouté. Et je suis ravi que cet épisode t’a marqué. Pourquoi tu as accepté cette invitation de Noir et Bègue ? 

Jerry   

Et parce que le titre était provocateur, non ?  

Mike   

Et plus tu es noir et tu es bègue.        

Jerry   

Franchement, mais en fait pour cette raison, parce que le titre parce que le titre était bien, parce que parce que j’étais concerné et parce que je je t’ai rencontré. Je t’ai admiré déjà un peu, tu vois, et j’ai trouvé que c’était. J’étais très content et très honoré que tu me en fait, donc je ne m’imaginais pas dire autre chose que oui.    

Enfin j’aime, j’aime les nouvelles expériences et dans ce cas là, ça ne me paraissait pas être une expérience qui allait mal terminée tu vois ? Donc ça me parait être une expérience qui était opportune à vivre à ce moment-là. Quoi donc je me dis vas y quoi ?                                                                                                                                                                                                                                                            

Mike   

Super ! En tout cas, merci d’avoir accepté cette invitation et je suis ravi également d’avoir fait connaissance. Et pour la petite anecdote, on s’est rencontrés à l’avant-première du film le bégaiement fond au soleil ou on te voit d’ailleurs dans ce film et qu’est-ce que ça t’a fait de te revoir à l’écran ? Est-ce que la concrétisation ou pas pour un artiste ?       

Jerry   

Très franchement, ça m’a rappelé les sensations que j’avais à ce moment-là. Tu vois, franchement, je me suis trouvé beau, je me trouve déjà éloquent, je me disais Wow ! Mais en fait.           

Mike   

La magie du cinéma.

Jerry   

Ouais, ouais, c’est là, c’était bien filmé en plus, tu vois. Donc j’ai vraiment aimé avoir cette place dans ce documentaire. Encore Une fois, je me suis senti honoré de pouvoir avoir une partie alors que ma parole est présente dans le jeu. Ça pour moi, c’est une belle chose. C’est une belle chose que  le partage des expériences et incluant mon expérience, mon discours et tout.           

Donc j’en suis reconnaissant.    

Mike   

Et tu arrives en finale ? Ouais et tu n’as pas gagné.       

Jerry   

Je n’ai pas gagné, c’est triste non ? Justement. Un peu déçu un peu, je pense. Déçu un peu. Être aussi de ne pas avoir eu le prix de la le prix de la plume.      

Mike   

Pour un poète.   

Jerry   

C’est ça. Le prix de l’authenticité, mais au final, c’est pas mal. C’est pas plus mal que ça parce que l’authenticité, c’est ça rester quand même le challenge. Parce que la plume, pour moi,  elle était déjà acquise. Après, toi, je la perfectionne. Évidemment, la.  

Mike

C’est un peu ton ego qui avait pris un coup.       

Jerry   

Oui, c’est ça. Mais j’ai été content de participer parce que pour moi, c’était la victoire. Au-delà de la reconnaissance d’être sacré grand champion ou grande championne du ticket gagnant du prix du jury, de la visibilité et autre, ça oui. J’ai, j’étais un peu déçu de ne pas avoir ça. Tu vois, c’est sûr, surtout en tant qu’artiste. On aime la reconnaissance et tout.

Mais je me suis découvert à travers cette expérience-là. J’ai découvert d’autres personnes et pour moi, ça ne peut que nourrir mon existence et la pratique artistique pour plus tard. 

Et j’ai appris que j’aimais beaucoup la scène, que je me sentais comme un poisson dans l’eau, presque, et que je pouvais être éloquent, que je pense que j’avais de l’éloquence, que j’avais du charisme, que j’avais de la confiance, que toutes les choses que je cherchais cherchaient, cherchait.  

Elles sont là, tu vois ce qu’on cherche. Et là, au fond de nous, quoi. Mais c’est aussi notre perception de nous-mêmes. On peut avoir une si mauvaise image de nous même qu’on n’est pas capable de voir les talents qu’on a. Et c’est ça que ça m’a fait. Si c’est sur ce point-là que ce concours a beaucoup joué.         

Mike   

Tout à l’heure, tu disais que tu avais hésité à participer à un concours de non-bègues pour personne fluide et que quand tu as vu l’opportunité qui s’est présentée avec le concours d’éloquence du bégaiement, donc tu étais senti plus à l’aise. Et là, le fait d’avoir fait ce concours-là, tu vas arriver en finale, c’est quand même boosté un peu d’énergie.      

Est-ce qu’aujourd’hui tu serais capable ou tu me sentirais prêt à participer à un concours d’éloquence pour personnes fluides ?                                                                                                                                                                                                                                                                      

Jerry   

Franchement, j’aurais peur, j’ai peur et j’aurais peur. Mais je pense que c’est faisable.  

Mike   

Rien n’est impossible.     

Jerry   

En fait là et je sens que j’ai encore un petit peu cette censure, cet immobilisme, cette peur. Tu vois ce que je me dis, mais est-ce que vraiment je peux le faire ? Est-ce que c’est faisable ? 

Pourtant, je suis bien passé devant une scène que j’ai bien faite, un discours que j’ai que j’ai assumé ma parole qu’on a fait des retours très positifs, qu’on m’a dit que tu  étais charismatique, presque de manière naturelle.             

Tu nous as bluffés. Je pense qu’il y a une personne du jury lors du deuxième tour qui m’a dit je pense que toi et une personne, vous pouvez clairement vous inscrire dans un concours. Pour une personne, vous avez le niveau. Mais malgré tout, tu vois cette voix dans ma tête qui me dit Jerry, tu es un imposteur.     

Mike   

Ça, c’est le sentiment d’imposteur.  

Jerry   

Ouais, je pense. En fait, ça, ça, j’en ai discuté avec quelqu’un d’autre qui connaissait des personnes qui faisaient du un de lutte qu’il est souvent de l’éloquence, des débats qui n’avaient presque pas la panse.

Elle n’avait pas peur. Tu vois, mais en fait c’est juste l’habitude, mais c’est cette peur, tu peux la ressentir et tu peux. Et il y a moyen qu’en fait tu ressembles toujours, mais c’est juste comment tu la gères, comment tu l’intègres dans ton expérience.              

Jerry   

Et c’est un peu comme une personne m’a donné cette image-là. C’est un peu comme les énergies négatives. Imagine, c’est du sirop, et les énergies positives, c’est de l’eau. Et donc s’il y a peu d’eau et beaucoup de sirop, tu vas sentir le sirop très fort et donc les énergies négatives seront très puissantes et plus tu dilues cette boisson avec de l’eau de surface, de l’eau que de l’eau peut enlever le sirop, mais tu peux rajouter de l’eau  plus, ça va diluer ces énergies négatives et moi tu vas les ressentir, moins elles vont apparaître plus puissant en fait. Et ça, ça m’a paru tellement parlant. Tu vois.        

Mike   

J’adore ça, j’adorerais, mais c’est beau, énorme. Je crois que je l’ai ressentir sur un face à face. Non, non et non. J’adore le sirop. C’est comme si je ne pense pas que tu vas l’atténuer. Fais du sirop bien amer. Je pense qu’on va fermer des bidons.                                                                                                                                                                                                                                                                

Jerry   

Ouais, mais l’autre me dit si.     

Mike   

Ça va finir par se diluer.     

Jerry   

Je pense que c’est faisable. Et puis si, même si la substance ou le goût est très très fort, il faut que tu trouves une substance qui puisse la concurrence cette fois-ci là. En tout cas, si jamais il y en a un. Mais je pense en général que la loi de la nature, c’est que plus ou moins tout à son a son pôle, plus ou moins toute énergie a son énergie à complémentaire ou poussée à tout.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

Mike   

Tu vois aujourd’hui comment tu gères ton bégaiement quotidien. Est-ce que tu as mis en place des techniques ou ou tu avances au gré du temps dans.                                                                                                                                                                                                                                                              

Jerry   

Aujourd’hui, j’ai pris la technique que j’ai en tête pour moi, c’est la présence, la présence, être présent avec moi même, avec mon ressenti. Parce que là, j’avais fait un peu le déni de ça et donc je me suis dit OK, rien, tu ne peux pas fuir ça, il faut que tu sois dans ton corps. Tu vois quand je parle à quelqu’un, je vois que je détourne le regard.  

Non, je  regarde la personne. Je vois que je me sens gêné par rapport à mon bégaiement. J’aime poser avec ça, tu vois. Et j’ai, je vais continuer à parler, je vais, je ne sais pas, je vais juste apprécier cette sensation. Et puis après, essayer d’ajouter de l’eau, de la positivité dans ça, qui est plus dans l’acceptation.          

Jerry   

Pour moi, c’est ça, c’est la prise de conscience de comment tu réagis face à telle ou telle situation. Et et après ? Donc c’est un petit peu de prise de risque, c’est à dire oser parler et bégayer. Tu vois, malgré cette anticipation de la honte ou quand tu te trouves anormale ou bizarre, ou peut être stresser ou quoi que ce soit, tu vois.   

Mike   

En tant que bègue tu as eu à vivre une situation gênante, humiliante, qui t’a vraiment marquée ou vraiment certaines qui t’ont vraiment mis à terre parce que ça, c’est violent. 

Jerry   

Non ? Non, je pense qu’honnêtement, en tant que personne bègue sur le sujet du bégaiement, je pense, je ne pense pas. Je n’ai pas de souvenir qui me revient dans un moment catastrophique. 

Tu vois, je pense que la plupart des personnes qui ont un bégaiement masqué n’ont pas vraiment vécu la dynamique avec les autres personnes, de la même façon que les personnes bègues qui ont un bégaiement qu’on entend, qui invisible aussi l’ont vécu.     

Tu vois, j’ai l’expérience interne, mais je n’ai pas l’expérience sociale. Je n’ai pas eu à faire face au harcèlement, je n’ai pas eu ce genre de choses, et donc c’est juste une souffrance invisible en moi. Ça fait un handicap invisible par rapport au bégaiement qui n’est pas qui n’est pas masqué. 

 

L’avenir

Mike   

Tu vois comment tu te vois dans dix ans.     

Jerry   

Je me vois, je ne me projette pas autant.   

Mike   

C’est trop lent pour. 

Jerry       

Franchement, J’ai des ambitions, mais j’ai des ambitions contraires. Je ne sais pas ou le vent va me mener. Je n’ai pas d’homme. C’est peut-être parce que je suis comme le fait que j’ai vécu ce que j’ai vécu. Mais je n’ai pas de plan pour l’instant. Sur exactement là où je vais me trouver dans dix ans. Tu vois, c’est juste, je me dis j’aimerais me retrouver là.                                                                                                                                         

Donc je vais essayer de mettre en place ça. Ça, c’est surtout la peur. La peur, c’est toujours la peur. 

Ça fait un leitmotiv dans ma vie en moi. C’est un des sentiments les plus difficiles à gérer avec la honte, la culpabilité surement et c’est ce que j’ai peur de ne pas pouvoir vivre simplement. C’est-à-dire ? J’ai de l’anxiété.      

Tu vois, je me dis si dans dix ans, l’air que je respire, sera respirable parce que j’avais quelques problèmes de respiration, d’asthme dans l’enfance, de choses hyperventilation chronique ? Apparemment, c’est dans le pneumologue. Je ne sais pas respirer.                                                                               

Mike   

Non parce que je suis asthmatique.   

Jerry   

Mais il m’a dit que je n’ai pas de fin. Il m’a fait un test et quand j’ai soufflé, il m’a dit à votre âge, vous avez un débit correct. Donc je pense que c’est plus mécanique chez vous. C’est juste que vous ne savez pas respirer. En fait, vous inspirez trop ou comme ça tu vois. Et donc il m’a dit en fait, c’est plus mécanique, on pourrait y penser.       

Ça y est, c’était la première fois qu’un pneumologue disait ça. Parce que pendant toute mon enfance, en fait, on m’a dit asthmatique. Et je me dis peut-être qu’au final, c’était la conséquence du traumatisme, parce que ça impacte l’immunité de ta santé. Les impacts sont immenses maintenant sur les neurosciences. 

La neuropsychologie permet de mettre en lumière de le dire le devenir des enfants qui ont été maltraités, qui ont subi des violences psychologiques et physiques.                                     

Tu vois, c’est des personnes qui vont développer des problèmes, parfois psychosomatiques, souvent des problèmes psychosomatiques. Un des obstacles psychiques et physiques, tu vois et ça c’est une conséquence directe de ce vécu traumatique quoi ? En bref ça, pour revenir à ma projection, je pense, déjà ça, ça fait que ça, c’est pour moi de me projeter, l’expérience de qui je suis.                                                                                         

Je suis un peu traumatisé, j’ai encore du mal à faire des projets. Je suis encore un peu dans les temps et l’inaction, dans l’évitement, dans l’immobilisme, tu vois. Et ça, pour moi, c’est déjà une chute. En fait, il y a le fait que je sois moi et je me dis si j’aurai une place dans ce monde.                                          

Tu vois à quelle direction il va prendre parce qu’on vit une époque assez difficile au niveau économique, social, écologique et donc j’ai un peu peur de ce qui pourrait se passer dans les années à venir. 

Tu vois ? Et puis le troisième point, c’est de manière globale sur Terre. Est-ce que je pourrais dire parce que je me suis dit, mais ou est ce que je pourrais me sentir bien ?      

Et au final, il n’y a aucun endroit qui va être épargné par les conséquences écologiques. Je veux dire si je voulais, si je voulais retourner en Guadeloupe, il y a le risque de la montée des eaux. Est-ce que les îles caribéennes ou d’autres îles ne vont pas être englouties ou à quel point devons être ? Tu vois un si je vais quelque part d’autre, il y aura des problèmes de sécheresse, d’acidité des sols, de l’eau.                               

Il y aura les problèmes d’eau potable, de ressources, de comment est ce qu’on va faire quand y a des plantes ? Et puis qu’importe endroit ou je vais l’air actuellement tu vois et quasiment pollué partout. 

Il y a quasiment aucun. Aucun air qui est totalement pur. Donc je me dis, mais même là c’est empoisonné, donc c’est un très bon fait.    

C’est un crime de pouvoir te rendre à tellement d’endroits et presque la face entière difficilement habitable. Tu vois.                                                                                         Mike   

Est-ce que tu ne penses pas que tu te poses 1 milliard de questions ? Oui et finalement, ça te crée une frustration et que si ça dépendait de toi de pouvoir changer le monde, sauf que tu ne peux pas, tu peux agir sur un périmètre. Ouais, mais là en écoutant, tu portes le poids du monde sur tes épaules et c’est peut-être ce poids-là. 

Tu dois t’en libérer peut-être ?  

Jerry   

On me dit souvent ça, c’est un léger déchirement. J’ai du mal à voir les choses en petit et j’ai du mal à ne pas voir la finalité, ne pas voir les conséquences dans le futur, j’ai du mal à ce qu’il n’y ait pas de sens défini une intention de définir une visée à ce qu’on fait et à ce qu’on ne mesure pas nos impacts parce qu’actuellement, on fait tellement de projets, mais on fait des projets à gogo.                                           

Mais il n’y a pas de questionnement éthique sur pourquoi est-ce qu’on fait ça vraiment ? Vers quoi est-ce qu’on sait quelles sont nos valeurs ? Quels sont les impacts sur les humains, sur les terres, sur je ne comprends pas, tu vois. Et il y a beaucoup de jeunes comme moi qui pose cette question-là, qui ne comprennent pas toujours et qui disent en fait notre futur.        

Notre vie n’est même pas entre nos mains. Le monde qui est en train de se façonner le monde de demain n’est même pas le monde que l’on veut. Tu vois donc comment est ce que tu peux faire des projets à l’échelle individuelle ? Quand tu dis en fait, ça ne sert à rien de ce que tout ce que ma vie ne retient presque plus, puisque l’endroit ou j’habite même va me causer du tort, va me tuer.                                                                            

Jerry   

Il y a déjà 50 000 personnes qui meurent en France par an. De la pollution de l’air tu vois, en Europe ça doit être 900 000 800 000 ou 1 million en cas dans ce cas là, tu vois avec les problèmes de la canicule, du réchauffement, de la température, des bouleversements de la biodiversité, ça, c’est des questions que qui pèse sur toi parce que tu es un être humain, que tu es un être vivant qui fait partie de ce tout.                              

Tu vois et pour moi ne pas pas en être impacté. Être apathique, c’est une chance, c’est une chance parce que tu peux voir le monde brûler et ne pas en être n’est pas en être triste. 

Ou alors tu peux même encore pire ne pas voir que le monde brûle, tu vois. Et donc là tu es vraiment serein. Mais je n’ai pas cette chance-là, tu vois et je pense que comme tu l’as dit, je pense beaucoup, parfois peut-être trop et c’est pesant, c’est pesant.                                                                          

Mike   

Et quel sera pour toi le monde idéal ? Tu peux faire une phrase poétique. Est-ce que tu penses qu’il y a un monde parfait ?                                                                                      Jerry   

Non, non, non.     

Mike   

Alors pourquoi ce n’est pas le monde dans lequel on est ?       

Jerry   

Je pense que ça aurait j’aurais pu l’accepter s’il n’y avait pas là, s’il y avait pas cette ombre de destruction qui pèse sur nous. Mais je n’ai pas envie d’être trop catastrophiste non plus, tu vois et dystopique, mais même un peu malgré moi et tu vois cette anxiété, elle existait avant, tu vois jamais. 

J’ai des problèmes dans ma vie personnelle et toute cette couche en plus, c’est quelque chose que je n’avais pas ressenti avant de prendre conscience de ces choses-là.      

Et desquels j’ai pris conscience de ça, en fait, et que j’ai intégré ça à mon parcours de vie. Il y a sept ans, à sa mort, ça m’a fait encore une gifle. Tu vois encore une gifle et tu dis, mais du coup, qu’est-ce que je peux faire à mon échelle en fait. 

Et tu suis à la conclusion qu’il y a pas grand-chose que je peux faire à mon échelle, parce que même si je fais quelque chose à mon échelle, en fait, c’est juste.                                                                                   

Jerry   

C’est une question de foi. En fait, c’est une question de foi, d’optimisme, de se dire que oui, on peut faire des choses. Oui, on peut bénéficier à des gens qui vont bénéficier à d’autres. On peut changer une personne après l’autre et tout. 

Mais, mais ce n’est pas exactement la dynamique dans laquelle je suis. Tu vois, je suis encore en train de me demander à quelle posture je vais. 

Je vais prendre par rapport à ça, à quoi est-ce que je vais essayer de protéger le pis en tout et tout ? Est-ce que je vais juste regarder et en faire un spectacle poétique ?                         

Mike   

Ses brûlures ? Il n’y aura plus grand monde pour pouvoir tenir la route.                                                                  

Jerry   

C’est que le monde tel qu’on le connaît, il va  se terminer. Tu vois un homme, mais ça ne veut pas dire que le monde va fermer. Je pense qu’on va survivre. Si on va survivre, ça va être différent.                                                                                                        

Mike   

C’est Apocalypse. 

Jerry   

Un vrai truc, c’est que ta façon, en tant que peuple, en tant que personne noire, on a déjà vécu. 

On a déjà connu une fin du monde, donc finalement ça va pas être nouveau, mais ça reste. Je ne sais pas si on s’habitue à avoir son monde, à voir son monde s’écrouler, changer. Et et ce n’est même pas comme si on savait que cet écroulement, ce changement était positif. 

En fait, que c’est ça qui est inquiétant, tu vois. 

Mike   

Et pour finir cet échange, moi et là tu m’as fait un constat sur le monde qui est très intéressant et j’aimerais avoir ton avis. Un constat sur ce que tu penses de la sensibilisation qui est sur le bégaiement aujourd’hui. Ou est-ce que tu penses que les gens aujourd’hui sont assez sensibilisés à ce handicap invisible ?        

Jerry   

Non, je pense que les gens ne le sont pas. Je pense que les gens ne seront probablement jamais, sauf si, je ne peux pas prédire ça. Je ne peux pas prédire ça. C’est ça dépendra des actions qui vont se dérouler. 

Si, par exemple, c’est tout de mouvance, de sensibilisation amène à un continuum qui se développe, grandit et finit par je ne sais pas, mais un finit par à la fin, dans dix ans, dans dix ans, 20 ans mené à la présidence d’une personne, tu vois un homme et visiblement on entend que cette personne est bègue.                                                                      

Jerry   

Tu vois ça par exemple, ça peut changer les choses parce que c’est une personne qui a une grosse visibilité, qui a un pouvoir de normalisation. Tu vois, une personne qui a du pouvoir peut créer et peut changer un peu des mentalités. 

Peu juste parce que tu es vu et tu existes et à cette position, à une position comme ça, tu vois, je pense, ce genre de chose, ça peut créer de la normalisation, ce dont on a besoin, c’est-à-dire que ça fait partie de la vie de tous les jours, un peu comme par exemple dans beaucoup de pays en Afrique, c’est le bégaiement. 

Ce n’est pas une question aussi douloureuse qui si tu vois, je pense qu’ici c’est un peu compliqué parce qu’on est très perfectionniste, on est très correct. 

Tifs sur l’usage de la langue depuis l’Académie française avec les normes élitistes de la bourgeoisie qui voulait qu’on parle d’une certaine langue, tu vois qui a standardisé la langue, qui ont imposé le français, qui ont détruit les langues régionales, y compris en Guadeloupe, c’est aux Antilles et dans l’outre mer.             

Mais là c’est une relation différente parce qu’elle est coloniale, tu vois. Et donc tout ça, c’est au final le plus le plus important dans la sensibilisation, je pense. 

C’est l’effet que ça a sur les personnes bègues, c’est-à-dire leur donner du courage, de la foi, de l’acceptation, de l’amour pour après, se sentir libre de vivre malgré ce qui les entoure, se donner de la force et trouver des personnes qui leur donnent de la force et prendre de la place.     

Tu vois malgré tout. 

Mike   

Et pour les personnes non bègues.    

Jerry   

Et pour les personnes non bègues, ça va être une conséquence que ça va être plus être une conséquence. C’est à dire que quand tu prends de la place, comme par exemple prendre la visibilité, comme ce qui a fait avec le documentaire, avec le concours, avec les médias et tout, tu vois, quand tu imposes ton agenda.        

En fait, c’est toi qui peux faire changer les choses. Donc ça reste important de faire porter une voix parce que parce que la faire entendre, c’est c’est déjà quelque chose. 

Mais imaginez 60 millions de personnes, tu as sensibilisé 60 millions de personnes et dire qu’on va jamais connaitre le harcèlement ou la violence ou la remise en question de notre intelligence ou je ne sais pas, je ne sais pas.                                                         

Tu vois, je pense que ça, c’est un peu. C’est un peu utopique, tu vois. Donc il faut avoir de la force en nous pour faire face, pour y faire face. Et même quand on va à l’étranger, tu ne pourras pas changer la face entière du monde et rendre le monde totalement accepté par tous.                            

Mike   

Merci beaucoup pour ton avis que je trouve très intéressant. Est-ce que tu penses que les pouvoirs publics saisissent les enjeux du bégaiement aujourd’hui ? Quelles actions ? Hormis l’APB que tu as pu, j’ai pu voir ou connaitre, il y a d’autres acteurs du moi de l’État qui font avancer cette cause.   

Jerry   

Et j’en connais plein. Je connais certains, certaines personnes élues. Sonia  il me semble par exemple, mais, mais ça reste encore des personnes comme moi, des personnes qui ont bégaiement masqué, tu vois. 

Donc au final, c’est comme si on disait OK, vous pouvez entrer en politique, vous pouvez prendre de la place. Mais si vous arrivez à dompter votre bégaiement, à passer pour fluides, tant qu’il n’y a pas des personnes, comme dit comme l’a dit Samira, d’ailleurs la gagnante du Grand Prix du jury, tant qu’il n’y a pas des personnes qui ont et qui sont, qui sont, qui ont le handicap visible  ça ne sera pas assez, parce que là, ce sont les personnes qui qui en souffrent plus que les que les personnes qui ont un bégaiement masqué. 

Parce que, comme je l’ai dit, on n’a pas forcément le stigmate social autour de nous. On a l’expérience intérieure, mais on n’a pas les deux à la fois. Et donc je pense que c’est les personnes qu’il faudra mettre en avant et qui pourront normaliser la question du  bégaiement.                                            

Mais clairement, les politiques publiques ne font pas assez, mais ça, c’est de manière générale. 

Quand tu regardes le niveau de l’accessibilité en France, la question d’accessibilité, les questions de handicap invisibles, les questions  de psychologie, de soins thérapeutiques, toutes ces choses, toutes ces choses-là encore, on a encore beaucoup, beaucoup de retard et beaucoup de mal à créer une société qui soit inclusive dans le sens ou les personnes ne sont pas. 

On ne leur donne pas une place à part dans le groupe, mais elles naviguent dans le groupe, tu vois ? Et ça, c’est qu’il y a encore beaucoup de travail à faire sur ce point-là. D’ailleurs, un sociologue travaille beaucoup sur le handicap et sur les réponses et les politiques publiques dessus.    

Mike   

Très bien, très très bien en tout cas. Grand merci à toi pour avoir accepté cette invitation encore une nouvelle fois et d’avoir fait ce retour d’expérience donnait un avis et partagé tout ce que tu penses de la terre, de ta vie, de l’univers et j’en passe. En tout cas, je te dis à très bientôt et et merci à nos chers auditeurs et je vous dis à très bientôt pour un nouvel épisode merci.

Jerry   

Ça a été un plaisir.   

Mike   

Merci beaucoup d’avoir écouté ce podcast. J’espère qu’il vous a plu. Ce contenu a été fait avec beaucoup d’amour et l’amour, ça se partage retrouve également les notes de l’épisode sur  Noiretbegue.fr  à très bientôt.  

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