Dans ce nouvel épisode de NOIR & BÈGUE , je reçois Malick Ndiaye, Docteur en sciences de gestion et professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
Bègue depuis son enfance dans le Pays de la Teranga « Sénégal », Malick a vécu une enfance rythmée par des moqueries à l’école, la frustration d’être différent des autres et la solitude.
De Dakar à Paris, Malick nous raconte son parcours inspirant et son engagement pour faire avancer la sensibilisation au bégaiement sur le continent africain. Il est le Référent Afrique de l’Association Parole Bégaiement.
Malick a participé en tant que candidat à la première édition de l’Éloquence du Bégaiement.
Aujourd’hui, il est Responsable Formation du concours.
Retrouvez les notes de l’épisode sur noiretbegue.fr
Bonne écoute
Podcast disponible sur :
Mike
C’est seulement dans les ténèbres qu’une bougie peut faire l’expérience de sa propre lumière. Je suis Mike Muya, noir et entrepreneur, fondateur de Snäck’in, agence de création de contenu. Dans Noir et Bègue, je vous raconte des histoires inspirantes de femmes et d’hommes qui, malgré les obstacles de la vie parviennent à avancer.
Bonjour et bienvenue à tous sur ce nouvel épisode de Noire et Bègue. Je suis accompagné de Malika Ndiaye que j’ai le plaisir de recevoir dans ce podcast de Noir et Bègue.
Bonjour Malik.
Malik
Bonjour Mike.
Mike
Comment tu vas très bien ?
Malik
Très bien, ça va.
Mike
Est-ce que tu peux nous dire qui tu es ?
Malik
Je suis Malick Ndiaye, comme tu l’as dit ici ? En fait, je n’ai pas d’âge déjà. On me demande souvent quel âge tu as. J’ai dit, mais donnez-moi l’âge que vous souhaitez.
Mike
Et ça fait combien de temps que tu vis en France ?
Malik
Je vis en France. Là, ça va faire quatorze ans.
Mike
Quatorze ans déjà.
Malick
Oui, quinze ans.
Mike
Bientôt quinze ans, c’est bien. Et est-ce que tu peux nous dire depuis quand tu es bègue ?
Malick
Aussi longtemps que je me souvienne, je pense que j’ai toujours été bègue. Je n’ai pas un souvenir de quand ça a commencé, mais j’ai souvenir de mes premiers mots et de mon bégaiement vers l’âge de quatre ans. Alors je m’en souviens parce que je pense que mes parents me disaient que j’avais commencé à imiter mon grand frère qui bégayait. Donc, d’après eux, ça a commencé par imitation. Avec le recul, aujourd’hui, j’ai passé dignement. Je pense que j’étais en train d’apprendre à bégayer.
Mike
Je pense qu’on a une histoire commune parce que moi aussi, j’ai mon grand frère qui est bègue. Tu es noir et bègue et moi c’est pareil, donc ça, c’est drôle. Et comment tu as vécu ton enfance?
Malik
De manière très générale, très heureuse. Il n’y a pas d’événement marquant qui a bouleversé, si ce n’est le bégaiement. Pour moi, c’est vraiment, ça n’a pas été. Je n’ai pas à être malheureux en famille. Je n’ai pas été malheureux dans mes rapports avec mes parents, pareil à l’école. Tout ça aurait été parfait s’il n’y avait pas le bégaiement.
Mike
Malgré ton bégaiement, tu as eu une enfance plutôt heureuse et à l’école, ça s’est bien passé.
Malik
Oui, en général, oui, personnellement, mais quand même, les moqueries, je pense que c’est une histoire que nous partageons tous et je ne pense pas que ça soit propre à l’Afrique. Je pense que les moqueries, la légèreté avec laquelle les gens traitaient notre bégaiement enfant. Je pense que c’est universel.
Mike
Mais je pense que peu importe le pays où on est un enfant , les moqueries font partie du lot de l’enfance. Et, mais comment tu as fait pour supporter tout ça ?
Malik
Justement, je n’ai pas supporté, pour moi, alors j’ai dit que l’enfance était très heureuse, sauf avec le bégaiement. Ouh là, je n’ai pas de souvenirs glorieux avec ça.
Mike
Donc tu arrives à dissocier ton enfance heureuse et une partie malheureuse qui est forcément liée au bégaiement. Donc, quand tu dis une enfance heureuse, sauf le bégaiement.
Malik
C’est ça exactement. Alors quelques exemples doivent être cités à la maison. Alors je ne sais pas si à Kinshasa le rapport au bégaiement est pareil ? Au Sénégal, on a un rapport assez décalé lié au bégaiement. Je pense qu’avec la culture avec la religion, avec aussi je pense que l’environnement qui nous disait que c’est comme ça. Dieu a créé ainsi un truc pour les croyants, fais avec.
Donc je pense que ça apprend à certains en Afrique à se résigner et à se débrouiller, à vivre avec ça de manière sereine. Ça n’a pas été mon cas à la maison. Je pense qu’on ne parlait pas du bégaiement et comme j’ai maîtrisé l’environnement, j’arrivais à faire avec. Mais c’était quand même très compliqué.
Mike
Donc tu dirais que c’est un sujet tabou à la maison de parler bégaiement.
Malik
Pas tabou parce que j’ai, je suis né dans une famille de bègues, donc j’ai eu des grands-pères, j’ai eu des tantes, des frères et sœurs qui bégayaient. Donc je pense que pour les gens, c’était assez normal finalement que je bégaie. Donc il n’était pas nécessaire d’en parler. Et dire que c’est comme ça.
Mike
Et toi, est-ce que tu l’avais accepté quand j’étais gamin ?
Malik
Non, du tout. Je faisais avec et ce qui m’a quand même le plus dérangé ou marqué là-dedans, c’est que ta souffrance était propre parce que les autres, je pense qu’ils l’avaient accepté, qu’il vivaient avec, moi, ce qui n’est pas le cas. Je pense que j’ai porté ma souffrance tout seul.
Mike
C’est un peu comme moi. Je ne sais pas s’il y a des gamins sur terre qui sont bègues, qui l’ont accepté parce que moi, pareil, quand j’étais gamin, je n’ai jamais accepté. Est-ce que, à cet âge-là, on peut réellement accepter le fait d’être bègue ? Est-ce qu’à cet âge-là, on peut accepter le fait d’être différent ? Honnêtement, moi j’ai un doute.
Malik
Justement. En fait, c’est ça, parce que tu sens que tu n’es pas comme les autres. Tu sens que tu as des difficultés. Non, c’est à un adulte, les parents, le maître, l’enseignant de t’expliquer que ce que tu as n’est pas normal, ce n’est pas normal dans le sens où des personnes influentes qui peut-être ne se posent pas de questions. Mais pour nous un enfant, ce n’est pas normal, on sent qu’on a besoin, qu’on nous explique.
Sauf qu’en tant qu’enfant, tu n’as pas les mots pour à mettre sur ce mal-là, ou bien sur cette différence que tu ressens. Je pense qu’on souffre, mais on ne sait pas comment expliquer cette différence. Est-ce qu’on ressent ?
Mike
Est-ce que l’adolescence a s’améliorer pour toi ou pas ?
Malik
Non du tout. Je pense que jusqu’à l’université, je pense que c’est vraiment à la fac où je me suis libéré par rapport à la souffrance liée au bégaiement.
Mike
Et qu’est-ce qui a fait que tu te sois libéré à la fac ?
Malik
Ça, c’est une très bonne question.
Mike
Je pense même.
Malik
À une bonne question parce qu’elle va me replonger dans les souvenirs qui peut être et je n’ai pas envie de. Alors je pense que le collège et le lycée, c’est là où on est adolescent. On cherche à s’affirmer et à s’intégrer dans son groupe. On cherche à exister et avoir une identité. Et je pense qu’à l’université, j’ai réussi à trouver mon équilibre personnel et scolaire professionnel aussi.
Malik
Je savais ce que je voulais faire. Donc du coup, la question du métier avec le bégaiement s’est posée pour moi, en plus que les parents n’étaient pas derrière mon dos. Quand même, il faut que ça avance.
Mike
Est-ce que tu penses qu’humainement tu as aussi grandi au-delà du bégaiement pour arriver à ce stade-là d’être arrivé à la fac et d’avoir fait ce déclic, de mieux se sentir, de mieux s’affirmer. Ou est-ce que tu dis juste que c’est un hasard ou c’est que c’est la suite logique pour tout bègue de s’affirmer à l’âge adulte ?
Malik
Non, non, je ne pense pas que le processus soit pareil pour tout le monde. Si c’est lié au facteur qui a fait que je m’en suis vraiment libéré à la fac, je pense que si j’avais enfin réussi à trouver ce que je voulais faire, je pense que le fait de savoir où
aller me permet justement de célibat. J’ai envie d’aller vers ce chemin-là et je me donne les moyens d’y arriver.
Et je pense que l’adrénaline, les corps, l’environnement extérieur, il fait que.
Mike
Et avant d’arriver à la fac, tu as dû traverser les épreuves du baccalauréat, les différents oraux. Comment ça s’est passé ?
Malik
C’était horrible.
Mike
Comme tout le monde en fait.
Malik
C’est horrible dans le sens ou tu arrives aux oraux et tu es en face de toi, des personnes qui te regarde comme si tu étais un extraterrestre, qui se mec, qui arrive avec ses tics faciaux, qu’il transmet son stress, qui nous transmet ses émotions, qu’on n’a pas envie de partager avec lui et qui viennent nous embêter dans notre fluence, c’est parfait.
Mike
Est-ce qu’il y avait un malaise dans la salle ?
Malik
Et après, mon ortho dirait que c’est la réflexion. C’est nous qui anticipons les réactions négatives des autres, c’est nous qui imaginons que les autres vivent très mal. Mais je pense que parfois le sentiment, il est réel quand même.
Mike
C’est aussi notre réflexion qu’on avait déjà faite à l’époque de me dire que ça se passe dans notre tête. Moi, je pense que c’est les deux et je pense qu’il y a des personnes qui réagissent aussi et cette réaction peut être amplifiée par notre façon de voir les choses. Mais je pense que sur les deux volets, ça se joue à égalité, je dirais.
Malik
Exactement parce que les gens nous disent, mais vous avez une responsabilité dans cette situation de communication. Mais quand tu as seize ans, assez de recul, quand, il y a treize ans, tu n’as pas de recul pour te dire que c’est à moi de créer l’ambiance qui permettrait à tout le monde d’être à l’aise. Toi, ce que tu as envie, c’est raconter ton sujet de l’oral et basta.
Voilà. Donc tu n’as pas à chercher à créer des situations de communication pour être à l’aise. Toi, c’est comme tu fais que tu as 1 h de présentation, dix minutes de questions, dix minutes de relance, c’est tout. Et ton problème, c’est te débarrasser ce moment de malaise.
Mike
Donc toi, pour toi, c’est l’oral. Il fallait vraiment s’en débarrasser le plus tôt possible.
Malik
C’est plutôt j’ai passé, mieux c’est. D’ailleurs, j’ai toujours rêvé de passer le premier. Voilà qui vient. Je passe le premier, je m’en débarrasser. Ce n’était pas un moment de plaisir, vraiment.
Mike
C’est vrai que moi, quand je dis souvent pour moi, les oraux, c’est un peu comme la guillotine et j’ai parfois ça comme coincé tout de suite à la mort. C’est oui. C’est vrai que pour moi non plus n’a jamais été mon plaisir. Moi, ce que j’ai dû vivre, c’est que j’ai l’impression d’être sur une autre planète parce que personne ne comprenait.
Mike
C’est simple ce que tu disais tout à l’heure. J’ai l’impression d’être seul au monde que, alors que tout ce que je ressentais, c’était que moi, tout pouvait ressentir et je me sentais incompris.
Malik
Et surtout que, en fait, c’est terrible parce que c’est l’enseignement public attendu qui a en face de toi des enseignants supposés comprendre et créer une ambiance ou une situation sereine pour tout le monde. Mais c’est comme si ton cas particulier n’est pas important.
Mike
Mais si l’enseignement, nous profs, c’était simplement le reflet de la société actuelle, si les gens ne connaissent pas et si les gens ne sont pas sensibilisés.
Malik
C’est une très bonne remarque. Ça pose la responsabilité quand même de l’Éducation nationale et c’est un peu comme tu disais dans un de tes podcasts pour dire aujourd’hui l’État, il a un rôle à jouer parce que bien sûr, les capacités des individus c’est pas mal. Mais si on va attendre 66 millions de Français.
Mike
Oui. C’est-il que va falloir les atteindre.
Malik
C’est ça exactement. Et moi je trouve que c’est quand même triste que ces personnes-là, ces enseignants qu’on a respectés quand même. Je ne sais pas. En France, je pense que le rapport enseignant-élève est un peu différent. Mais pour nous qui sommes du Sénégal, c’est notre génération à nous. C’était un rapport très fort.
Mike
Moi ayant passé ma scolarité ici également, c’est que j’étais dans un autre monde, que les profs ne connaissaient rien au bégaiement . J’étais dans mon coin, c’était le trouble de la communication. Et comme je disais moi, j’ai dû me battre avec les. Malgré les difficultés, j’ai dû passer les oraux. Je n’avais pas d’aménagement particulier exactement. Et ce n’était pas considéré comme un handicap.
Quand je prenais un zéro et un zéro pas, parce que je n’arrivais pas à m’exprimer, il fallait vivre avec. Et aujourd’hui, j’ose espérer que ce que ça s’est amélioré. Donc j’ai en tout cas, je l’espère, sinon ça sera encore triste. Mais c’est en tout cas moi à mon époque, il y a une vingtaine d’années, le bégaiement, ce n’était pas du tout une cause pour l’Éducation nationale de dire comment on fait pour les élèves qui bégaient.
Malik
Heureusement, l’APB a commencé à travailler dans ce sens-là avec l’aménagement du tiers temps, avec les fiches dépliant. En fait, expliquer les bégaiements et les mettre en lumière dans les écoles, ça reste encore marginal. Et surtout, ça reste pour les personnes qui sont informées que ça existe. Mais pour les gens qui ne sont pas informés ou bien dont les parents ne sont pas informés, malheureusement ils passent à travers les mailles du filet.
Mike
Je suis d’accord avec toi parce qu’il y a une vingtaine d’années, c’est pareil qui m’aurait dit tiens oui, il y a l’APB qui existe, mais pour moi l’APB, je ne savais même pas qu’il y avait un truc qui soutenait les bègues plus, c’est pour moi. C’était moi contre le monde entier. Je ne savais même pas qu’il y avait d’autres personnes comme moi.
C’est vrai qu’il y avait mon frère, il était déjà beaucoup plus grand. Mais c’est vrai que j’avais cette sensation d’être seul au monde et ce n’est pas à l’école. On m’a dit il existe une association dont, la documentation ou comment te faire aider. C’est ça ? Vraiment c’était un peu une démarche par moi-même d’essayer de m’aider.
Mike
Malgré tout l’APB, ça fait combien d’années qu’elle existe.
Malik
Alors là c’est une bonne question. Je pense que ça fait 30 ans en moyenne.
Mike
30 années donc c’est à dire c’est encore récent.
Malik
Ne fallait pas s’attendre à grand-chose. Et là on a fêté les 30 ans il y a trois semaines, je pense. Mais pour rebondir à ça, c’est vrai qu’aujourd’hui, la question de la préparation des élèves aux oraux du BAC, l’APB propose aujourd’hui des séances de préparation. Et c’est vrai que c’est pas mal parce que finalement ça permet de mettre en condition les personnes et de les préparer. Parce que même jusqu’à aujourd’hui, après ma thèse, j’aurai eu. En tout cas, si j’avais accès à ça, comme tu dis, je pense que ça m’aurait aidé quand même pas mal.
Mike
Moi, je trouve que c’est une super initiative. Que je soutiens totalement. Que moi, si j’avais eu la chance de bénéficier de ça, je l’aurais vraiment pris avec grand plaisir. Mais que si ça peut aider des plus jeunes que nous et même ceux qui sont à l’université, j’imagine, aussi est ce qu’on prépare ? Est-ce que l’APB aide aussi les personnes pour passer des entretiens d’embauche ou autre ?
Malik
Alors Mounah avait commencé avec l’initiative avec handicap possible. On ne sait pas si on peut en parler ou bien qu’ils l’autorisent qu’on en parle. Mais il avait commencé à faire des séances d’entretiens collectives pour préparer les personnes avec des DRH et des spécialistes en recrutement. Et l’idée était bien de commencer à préparer aussi bien les RH que les personnes qui cherchent de l’emploi avec des simulations.
Malik
Donc c’était vraiment très bien.
Mike
Et tu es engagé dans l’APB depuis combien de temps ?
Malik
Je suis dans l’APB depuis cinq ans, mais actif depuis quatre ans bientôt. Alors pourquoi ça ? J’ai commencé à être actif depuis la première édition du concours d’éloquence du bégaiement. Suite de ce concours-là, j’ai ressenti vraiment ce besoin de rendre ce que j’ai reçu durant le concours. Donc après ça, que ce soit Mounah par le biais des relations, j’ai présenté mon projet pour l’Afrique à l’APB qui l’a accepté. Et dès lors, je suis un peu le référent Afrique de l’APB.
Mike
Un accord ? Est-ce que tu peux nous dire qu’elle est en rôle dans APB ?
Malik
Tout mon rôle aujourd’hui, c’est de coordonner les projets Afrique. Donc au sein de l’APB, donc avec l’idée de miser sur l’expérience de l’APB en termes d’information et d’étude, surtout en tant que réseau, qu’est-ce qu’on peut apporter aux personnes qui bégaient en Afrique ? Donc, je rappelle que je viens du Sénégal. Donc avec le passif que j’ai avec le bégaiement alors et qui fait qu’aujourd’hui je ressens vraiment ce besoin là de rendre ce que j’ai reçu.
Mike
En parlant du Sénégal, j’ai deux questions. La première. Est-ce que tu parles une autre langue que le français ? J’imagine, c’est le wolof. Si je ne dis pas oui.
Malik
C’est que tôt.
Mike
Est-ce que tu bégaies autant en wolof qu’en français ?
Malik
Je bégaie moins en français qu’en wolof.
Mike
Ah oui, oui, j’aurais dit le contraire.
Malik
C’est ça exactement je bégaie plus en wolof qu’en français c’est pareil, en anglais un peu moins aussi. C’est une question très pertinente. Pourquoi je bégaie moins en français qu’en wolof alors que je maîtrise très bien le wolof ? Donc ça ne devrait pas être un problème. C’est une bonne question Mike.
Mike
Et l’anglais aussi. Du coup, je me dis que tu bégaies moins.
Malik
Ouais. Un peu moins.
Mike
Est-ce que tu as essayé de travailler ça en profondeur ? De dire qu’est ce qui peut faire ou est-ce que c’est en état naturel ? C’est quoi ? C’est une pression, c’est parce que tu réfléchis beaucoup plus, peut-être avant de parler, ou est-ce que c’est des questions que tu te poses peut être avant ou pas du tout ?
Malik
Non, je ne me suis jamais intéressé à ça. La psychologie de comptoir, si on en fait aujourd’hui avait dit que nous aurions amené à dire que oui, c’est parce que mes souvenirs malheureux en wolof, etc. ou les souvenirs malheureux de l’apprentissage du français à l’école fait qu’aujourd’hui je l’associe à quelque chose de pas positif. Etc., mais je ne crois pas.
Mike
Tout à l’heure. Tu nous a dit que tu étais le référent entre l’APB et l’Afrique ? Quel est le constat du bégaiement au Sénégal selon toi ?
Malik
Ce n’est pas très glorieux du tout. Ce n’est pas très glorieux pour différentes raisons.
Mike
En France, ce n’est pas très glorieux non plus.
Malik
Ce n’est pas glorieux, mais quand même en France, il y a quand même des avancées au niveau des praticiens parce que bon, à Paris bien sûr, je pense qu’il y a des régions. C’est très compliqué de trouver des orthophonistes, mais je pense qu’il y en a quand même.
Mike
Et spécialisés au bégaiement surtout. Je tiens à préciser que toutes les orthophonistes ne font pas forcément du bégaiement.
Malik
Exactement
Mike
C’est vraiment quelque chose qu’il faut préciser parce qu’on a souvent l’impression que tous les ortho font du bégaiement.
Malik
Il faut préciser qu’il y en a qui prennent des enfants, des adultes, des adolescents aussi. Chacune ou chacun a ses spécialités et son public en thérapie. Alors que le Sénégal ce n’est pas très glorieux. Alors la première, c’est que ce n’est pas une question de santé publique prioritaire. D’ailleurs, ce n’est pas une question de santé même.
Voilà, c’est une question individuelle que chacun à sa manière.
Mike
Et si tu ne devais pas ça ? Un message à Macky Sall.
Malik
Si je devais passer à Macky Sall, c’est de dire qu’il y a parmi ses enfants des personnes qui bégaient, qui sont en souffrance énorme et qui méritent d’être entendues.
Mike
Donc Macky, c’est le président du Sénégal.
Malik
Du Sénégal qui est très jeune et qui, on espère, qu’il nous écoute un jour.
Mike
Je vais lui envoyer le lien, promis. Déjà je vais l’envoyer à Monsieur Macron et là on va envoyer à M. Sall comme ça les deux présidents, chacun dans leur pays, ils vont pouvoir faire avancer les choses. Donc chaque invité qui veut passer un message à un président, il choisit son pays et.
Malik
Là c’est ça.
Mike
On va sensibiliser.
Malik
Ouais et la deuxième raison qui fait que ce n’est pas glorieux, c’est le regard des autres. Parce que les personnes ne sont pas sensibilisées du tout au bégaiement comme en France. Ils pensent, à la différence près que la peur, il n’y a même pas de dépliants. C’est l’Association pour la prise en charge du bégaiement au Sénégal, la PBS qui se débrouille toute seule.
Mike
Un peu comme en France avec l’APB.
Malik
Voilà exactement. Et qui essaie de changer les regards sur les bégaiements. Mais on a un rapport assez léger, un bégaiement qui n’est pas un handicap là-bas, de le référencer comme un problème pour nous. Pourquoi trouver des solutions sur un problème qui n’existe pas ?
Mike
C’est vrai, c’est vrai, ce n’est pas évident. Et tu m’as parlé tout à l’heure. Tu as essayé d’aborder tout à l’heure un projet vers l’Afrique. Tu peux nous en dire plus ?
Malik
Oui, j’ai proposé depuis 2020 ce qu’on appelle les , c’est les réseaux interactifs action solidarité bégaiement en Afrique donc, qui a pour rôle premier de sensibiliser sur les bégaiements en contexte africain qui est très important parce que même si l’APB veut aider ces personnes-là. Le rapport au bégaiement est très différent selon les pays africains, selon les ethnies aussi ou les traditions.
Donc, il y a des facteurs à comprendre avant de proposer des solutions.
Mike
Et qu’est-ce que tu entends par contexte africain pour moi ? Pour moi, bégaiement, c’est bégaiement.
Malik Oui.
Mike
Que je bégaie en français, en wolof ou ou je ne sais pas en quelle langue. Du coup, mais quelle est la particularité avec l’Afrique ?
Malik
Alors ? La particularité, c’est vraiment le rapport que les gens, ils ont avec le bégaiement. Alors quand je dis ça, bien sûr, je fais référence aux traditions. Je fais référence à l’imaginaire que les gens, que les ethnies, que les régions se font du bégaiement. J’ai fait aussi référence au fait que bon, en France, on peut quand même remettre en cause beaucoup de choses.
Mais la science a beaucoup évolué et l’information sur le bégaiement a beaucoup évolué, même si aujourd’hui l’accès n’est pas encore élargi. Mais il y a quand même des travaux qui existent aujourd’hui. Alors contexte africain, c’est vraiment ne pas répliquer ce qu’on a en France comme information en Afrique, parce que là-bas, les rapports sont même très différents, que le regard est très différent et la manière même de traiter le bégaiement, traditionnellement, est très différente.
Si, en fait, il y a beaucoup de facteurs qui font qu’il ne faut pas répliquer l’information qu’on a ici en Afrique, parce que ça ne marcherait pas, parce que les rapports et l’approche sont quand même très différents sur le bégaiement.
Mike
Est-ce qu’il y a un pont entre l’APB en France et la PBS du Sénégal ?
Malik
Alors l’APB soutient ces associations-là, on les aide en terme logistique et financier. Mais l’idée de ce réseau, c’est de rendre autonomes ces associations-là. Donc l’idée, c’est de casser ce rapport assistant et assisté. Je ne sais pas si c’est trop brutal ou pas, mais en tout cas, c’est comme ça qu’on peut l’appeler. Et la question c’est aujourd’hui de ne pas dire à ces gens-là qu’on va vous sauver.
Malik
Non, je pense qu’il faut un forum parce qu’il y a un changement de paradigme qu’il faut observer là-dessus. Du coup, l’APB vient avec la connaissance, le réseau, les orthophonistes et pour en fait aider à mettre en place des actions et rendre autonomes ces associations-là. De sorte que décider cinq ans en disant qu’elles soient autonomes.
Mike
Donc, il faut que ces associations puissent devenir autonomes financièrement, c’est ça. Et du coup, c’est une question qui va de soi. Comment aujourd’hui l’APB se finance ?
Malik
Alors ça, c’est une question que je pense que ce sera au trésorier de l’APB d’y répondre.
Mike
Est-ce que si on sait des subventions de l’État ou alors ça se passe aujourd’hui ? Est-ce que, en particulier chez lui, au lieu de faire un don, une association peut choisir aussi de soutenir donc la cause du bégaiement, de faire un chèque à l’APB qui peut être déductible de ses impôts.
Malik
Ben justement alors je sais qu’il y a des cotisations des membres et il y a aussi des dons et des subventions. Après, comment ça marche réellement ? Ça passe, mais l’accord, mais faire passer au centre de l’APB. Mais ceci étant, si on rebondit sur le financement des associations en Afrique. Donc là on est en train de réfléchir à des outils ou des actions à mettre en place, de sorte qu’elles arrivent à se financer elles-mêmes.
Malik
Parce qu’aujourd’hui, dès qu’il y a de l’argent en Afrique, il faut savoir aller les chercher.
Mike
Comment tu imagines la sensibilisation au bégaiement en Afrique dans dix ans ?
Malik
La sensibilisation dans dix ans élargis, ce qui toucherait tout le monde. Pour moi, c’est mon rêve absolu. Comme toi et ça, implique quand même que les autorités publiques s’impliquent beaucoup. Et je pense que, comme les particularités qu’on a en Afrique nécessitent de mettre des relais, donc des relais en termes de communication, des relais de partage d’information et des relais en termes de traduction de nos supports de sensibilisation.
Ces relais-là, je pense qu’ils sont assez multiples. Donc on a des centres communautaires. On a aujourd’hui identifié des acteurs qui pourraient nous aider à faire ça. Mais c’est un challenge qu’il faut relever aussi.
Mike
Mais en tout cas, tu es sur la bonne voie.
Malik
On croise les doigts. En tout cas, moi je j’encourage et je soutiens.
Mike
Merci beaucoup. Rendez-vous dans dix ans pour faire le point.
Malik
Dans dix Ans.
Mike
Pour faire le point et pour fêter la victoire de tous les Wê qui seront atteints.
Malik
Mais après sensibiliser, il faudrait que le bégaiement soit une question de santé publique aussi tant qu’elle ne l’est pas. C’est ça qui devient très compliqué.
Mike
Je pense qu’il y a beaucoup de pays africains qui se cachent aussi par rapport à la France. Donc si peut-être qu’on arrive à faire ça en France peut être que ça va aussi impulser d’autres pays à faire de même. Qu’est-ce que tu dis toi ?
Malik
Moi, je pense qu’il faut rompre avec cette idée de ce qui se fait en France. En Afrique francophone, on va dire que ça.
Mike
Ça influence, c’est un de notre débat.
Malik
Oui, attention. Justement, je pense que quand même, il est très important que les réflexions soient faites localement. Parce qu’aujourd’hui, votre approche du bégaiement qu’on a en France, en tout cas de l’étude que j’ai effectuée, a montré que ça ne guérit pas. Au Sénégal, au Mali, en Côte d’Ivoire. Et il faudrait vraiment beaucoup tropicaliser si on peut dire comme ça, si c’est autorisé.
Mike
Tropicaliser le bégaiement.
Malik
Tropicaliser les approches du bégaiement. Mais non, ce n’est pas mon propos, mais je dis juste que c’est important de réfléchir localement des solutions à apporter.
Mike
Est-ce que tu as quelque chose à rajouter sur ton combat, sur tes envies et sur tes objectifs, tes différents chantiers pour l’Afrique ? Et par rapport à ce que tu mets en place aujourd’hui ?
Malik
Oui. Alors ce que je peux rajouter déjà, c’est commencé. Je prends souvent l’exemple de l’adolescent qui a treize ans, quatorze ans, elle qui se retrouve tout seul ou toute seule et qui se pose plein de questions sans réponse. Je pense qu’il est très important qu’on leur apporte des réponses à leurs questions sur le bégaiement si on arrive à réussir ce challenge-là.
Déjà, on a fait beaucoup de choses parce qu’il y a tellement de questions. En plus, ça me permet de rebondir sur l’aspect qui m’aurait fait le plus. Ce sont les faiseurs de rêves ou de miracles des gens qui ont fait émerger sur Facebook des gens qui soi-disant vont vous débarrasser du bégaiement. Comme par miracle du jour au lendemain.
Et je pense que si on arrive à sensibiliser, à informer les gens sur le bégaiement, il sera moins tenté par ces faiseurs de miracles qui profitent quand même de la souffrance des personnes pour s’enrichir.
Mike
Et tu ne penses pas que s’il y a un tel niveau de détresse que l’être humain est prêt à tout pour la moindre fraction de bonheur qu’on peut lui promettre ?
Malik
Exactement. J’ai très longtemps rêvé de me réveiller un jour et de voir le bégaiement disparaître. J’ai toujours rêvé du jour où je me réveille sans le bégaiement. Qu’est-ce que j’aurais fait ? Bien sûr, et je pense que j’aurais tout payé. En tout cas, il faut que ça arrive.
Mike
Aujourd’hui, comment tu vis avec ton bégaiement ?
Malik
Très bien. J’ai enfin réussi à trouver un équilibre. C’est vrai qu’il y a dix ans, je t’aurais dit c’est une souffrance totale, vraiment. Et je pense que j’ai eu une période de dépression très profonde. Si c’est quand je suis arrivé en thèse en première année où là, il faut présenter des colloques, des séminaires devant qu’on appelle des pères.
Et là, je me suis dit, mais est-ce q qu’ils vont vraiment trouver, Idiot, pas intéressant, pas intelligent, pas légitime? Parce que devant des professeurs, des chercheurs, tu bégaies, c’est pas très. Donc ça a été une phase très difficile et ça m’a demandé de reprendre l’orthophonie. Et ça m’a aussi permis d’en arriver à un stade ou j’ai accepté le bégaiement au point de bégayer même lors des présentations, sans pour autant que ça soit un problème.
Mike
Tu as appris l’orthophonie ? À quel âge ?
Malik
J’ai repris l’orthophonie. J’ai commencé deux ans après quand je suis arrivé en France, j’ai arrêté tout de suite.
Mike
Et pourquoi ?
Malik
Parce-ce que pour moi, ça ne servait à rien du tout. Et qu’est-ce.
Mike
Et qu’est-ce qu’a fait ce que tu reprends après ?
Malik
Non, ce n’est pas ça. J’ai commencé la première fois où j’ai entendu parler du bégaiement. J’étais assistant et bibliothécaire, donc à l’IUT de sceaux, et c’était la responsable de la boutique qui m’a dit, mais si tu faisais de l’orthophonie ? J’ai dit, mais pourquoi ? Il me dit, mais parce que tu bégaies ? Parce qu’à l’époque, j’essayais de cacher mon bégaiement.
Sauf que malheureusement, malheureusement non, j’ai un bégaiement qui s’entend, il se voit. Donc on peut le cacher dans les premiers temps, mais il revient quand même très rapidement. Donc j’ai commencé l’orthophonie avec l’idée que ça allait me débarrasser du bégaiement très rapidement.
Mike
Alors que c’était une fausse bonne idée.
Malik
Et c’est une fausse bonne idée.
Mike
De se dire, tiens, le bégaiement va partir du jour au lendemain.
Malik
Parce que justement je n’ai pas été informé sur le bégaiement. Donc pour moi, parler de solution, ça allait faire des miracles. Sauf que deux mois après, je me suis rendu compte que ce n’était pas ça, que le bégaiement était toujours là et que je me suis demandé, mais ça sert à quoi ? Donc j’ai arrêté après quand même. J’ai commencé à lire comme sur le bégaiement.
J’ai commencé à m’intéresser au bégaiement, non pas comme une souffrance, mais comme quelque chose qu’il fallait comprendre d’abord. À force de chercher à s’en débarrasser. Du coup-là, j’ai refait le chemin inverse, j’ai retrouvé mes souffrances, etc. Des choses qui ne plaisaient pas. Mais je me suis fait violence pour comprendre le bégaiement.
Mike
Et tu as repris avec la même orthophoniste.
Malik
Oui oui, la même, parce que ce n’est pas elle, ce n’étaient pas ses capacités qui étaient remises en cause, c’était plutôt moi et le fait que ça ne me rapportait rien tout de suite avec elle. Deux ans après.
Mike
Moi, j’avais repris l’orthophonie et je n’avais pas accroché avec le professionnel que j’avais en face de moi. Et du coup, je n’ai pas l’impression de progresser. Et non, moi, j’avais arrêté. Ouais, et j’ai repris quelque temps après en changeant d’orthophoniste. Ouais. Et là, ça s’est bien passé. Donc je pense que c’est ce que je disais aussi dans un épisode.
Il faut que le patient accepte de se faire aider et en même temps, ceci aussi l’approche, la bienveillance. Et du coup, ça s’est très bien passé et m’a vraiment aidé à faire des progrès.
Malik
C’est ça justement, et non seulement il faut accepter, mais il faut aussi comprendre pourquoi on est là. Moi, j’y étais pour m’en débarrasser du jour au lendemain, parce que je pensais que ça allait faire des miracles. Et quand j’ai repris là, c’est moi même qui suis là. La première fois, je l’avais fait avec les conseils de ma supérieure externe qu’il fallait faire des séances d’avec l’orthophoniste.
Malik
Alors la deuxième fois, c’est moi-même qui lui ai recontactée. Donc là, j’étais prêt à faire ce travail avec elle.
Mike
Et aujourd’hui, tu continues ou pas ?
Malik
Non, j’ai arrêté au bout de cinq ans et j’ai arrêté parce qu’on avait ressenti, elle et moi, que j’étais à un stade ou la thérapie ne me rapporte pas plus qu’elle a déjà apporté.
Mike
Et ce n’était pas trop dur. La séparation ?
Malik
Eh non, ce n’est pas très dur. Je pense qu’on avait compris tous les deux que notre chemin s’arrêtait là.
Mike
Au bout de cinq ans, forcément, il y a des liens qui se créent.
Malik
Exactement.
Mais elle me suit encore, on va dire de manière informelle. On a quand même.
Mike
Elle doit être contente si elle apprend que tu es membre de l’APB, que tu es actif et que tu fais bouger les choses.
Malik
Exactement. C’est elle qui m’a fait inscrire au concours du bégaiement. Donc, en plus je l’ai vu ce matin et je lui ai dit qu’on va enregistrer cet après-midi.
Mike
Et tu peux nous faire un petit retour rapide sur ta participation au concours ?
Malik
Oui. Alors l’éloquence du bégaiement, toute une histoire à raconter. A la base, je ne voulais pas m’inscrire parce que parler en public, faire un discours et le présenter, pour moi, c’était hors de question.
Mike
Quelle mouche t’a piqué alors ?
Malik
Voilà, c’est ça exactement. D’ailleurs, c’est après le concours blanc, je me suis posé la question pourquoi je suis là ? Et après ? Finalement, j’ai compris que ce qui était intéressant dans ce concours-là, avec le recul, bien sûr, je rappelle que j’ai été jusqu’en demi-finale. Donc pas finaliste du concours, mais c’est déjà très bien.
Mike
Bravo !
Malik
Voilà, c’est la première édition, donc j’ai beaucoup appris et je pense que ce qui est intéressant, ce n’est pas en tout cas avec le recul, ce qui est intéressant, c’est l’ambiance, c’est le cadre qui est créé dans ce concours-là. C’est le fait de faire comprendre à ces personnes-là qu’elles ne sont pas toutes seules, qu’il y a d’autres comme elles qui partagent les mêmes problèmes, qui partagent les mêmes difficultés et qui sont à la recherche de la même chose.
C’est parler et s’exprimer parce que malheureusement, aujourd’hui, on n’a pas beaucoup d’espaces comme ça qui nous offre l’attention nécessaire pour partager nos messages. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire ou non.
Mike
Je comprends très bien. C’est une belle opportunité en tant que bègue à saisir et tu es arrivé en demi-finale, tu n’as pas eu la chance de partir en finale ?
Malik
Oui.
Mike
Et pourquoi tu ne t’es pas inscrit à la prochaine édition pour aller remporter cette finale ?
Malik
Déjà, je me suis dit heureusement, je n’ai pas été en finale.
Mike
Et pourquoi heureusement ?
Malik
Je ne me voyais pas faire ce discours devant des centaines de personnes et pourtant je suis coach aujourd’hui et chargé de formations. Ça peut être paradoxal, bien sûr. J’espère que les prochains candidats ne vont pas m’écouter.
Mike
Ils vont écouter, c’est un podcast écouté par tous les Bègues.
Les 650 000.
Malik
Je les encourage à faire ce concours-là
Mike
Mais ne pas aller en finale.
Malik
Surtout, il faut aller en finale, il faut aller en finale, car après peu importe le stade ou le Concours s’arrête pour le candidat de façon, il y a toujours un truc à prendre là-dedans.
Mike
Est-ce que tu peux nous expliquer ta peur d’aller en finale ? Est-ce que tu peux nous expliquer ta peur de se retrouver devant ce public-là ? Alors que quand tu as accepté de participer à ce concours-là, tu savais que tu pouvais arriver en finale. Mais tu as accepté. Malgré quoi ? Malgré des réticences.
Moi, j’essaie de comprendre, tu es sorti d’une zone, d’une première zone de confort et tu es entré dans une seconde. Tu t’es dit ? Non, je préfère m’arrêter là, tant mieux. Mais pourquoi je ne peux pas aller plus loin ? Qu’est-ce qui fait que ça bloquait ?
Malik
Je pense que j’aurais été sélectionné en finale. Je l’aurais fait parce que j’aurais été devant le fait accompli. Mais je pense qu’il y a la peur de se dévoiler, la peur d’être jugé, la peur de prendre la voix devant des centaines de personnes. Et dire que j’ai la tension que je souhaitais avoir depuis longtemps.
Mike
Et un truc que je trouve intéressant dans ce que tu dis, c’est si j’aurais été en finale et je l’aurais fait quand même. Et je pense que ça rejoint un peu ce que je disais dans un de mes précédents épisodes L’instinct de survie. En gros, si c’est qu’on tu n’as pas le choix, de toute façon que tu dois te jeter dans l’arène et c’est un peu ça.
Mike
Donc si tu es arrivé en finale, je pense que tu l’aurais fait, oui. Mais si on te donnait le choix entre l’option A et l’option B, ton cerveau de bègue il aurait pris directement l’option B et je m’arrête en demi-finale alors que si tu n’as pas le choix, c’est la finale.
Malik
C’est fait exactement. C’est la solution de facilité et je pense qu’en bègue, parce que c’est mon expérience personnelle, tant que je n’ai pas à choisir des situations d’inconfort, tant mieux. Mais là, j’ai comme ce n’est pas moi qui choisissais. Tout ce qui m’arrivait était bien et je me serais adapté. Ç’aurait été moi qui choisis. Je pense que je suis arrêté au premier tour parce que ça m’allait bien, parce que je n’ai pas à prendre la parole devant les autres.
Malik
Ce qui est paradoxal parce que je suis professeur devant des amphis. Donc ce qui est assez paradoxal, entre prise de parole en public, c’est moi qui mets en avant et prise de parole en amphi ou c’est le professeur pas Malik Ndiaye qui parle ici, c’est le professeur Ndiaye. Donc voilà,
Mike
Et est-ce que tu peux nous parler du professeur ?
Malik
Le professeur ne bégaie presque pas en classe ou en amphi ? Il est passionné et je pense que d’ailleurs c’est un de tes podcasts. Tu disais que la passion finalement de, faire ce qu’on a envie de faire, c’est avec les métiers liés à la parole qui nous fait nous dépasser.
Mike
Ça transcende, c’est vrai.
Malik
Et nous offrir même les moyens de nous dire ça. Allez, j’ai rêvé de faire ça, je suis voilà. Mais là, je me lance.
Mike
Tu donnes tout.
Malik
C’est ça, exactement. Et alors, le prof ? Bien sûr, il a peur du bégaiement, il a peur de bégayer, il a peur de ne pas être légitime devant ses élèves et il a peur aussi d’être regardé comme quelqu’un qui est handicapé. Pas que le bégaiement n’est pas assumé, mais que quand tu es prof, tu as une posture quand même qu’il faut avoir.
Mike
Est-ce qu’aujourd’hui, quand tu bégaies, comment tu te sens ?
Malik
En classe ou dans la vie de tous les jours ?
Mike
Peu importe les situations,
Malik
Il y a quatre ans, cinq ans, je serais resté une semaine à la maison sans sortir un mot. Te flageller aujourd’hui ? Non. Aujourd’hui, je bégaie n’importe où, ce n’est pas grave, c’est comme ça. Et de toutes les façons, soit l’autre l’accepte ou ne l’accepte pas, c’est sa liberté. Mais moi, j’ai ma liberté aujourd’hui de bégayer, c’est comme ça.
Mike
Mais pourquoi en tant que prof ? Et tu as l’impression que si tu bégaies, tu perds en crédibilité ? Alors que paradoxalement, tu assumes déjà le fait de bégayer ? Mais ça te dérange quand même, au fond de toi.
Malik
Ça me dérangeait. Mes premières années de prof, quand j’ai commencé en tant que prof, ça me dérangeait énormément. D’ailleurs, la première année, j’ai essayé de le cacher et à la deuxième séance, il est revenu, il est revenu insidieusement ou sournoisement. C’est là où j’ai travaillé avec l’orthophonie et la question était quand même du bégaiement plus il est en lumière, moins il vient te rappeler qu’il est là.
Mike
Est-ce que tu as annoncé à tes élèves que tu bégaies.
Malik
À partir de la deuxième année, oui. Alors maintenant, en début de de l’année académique, la première chose dont je parle, c’est du bégaiement.
Mike
Et qu’est ce qui a fait que tu passes cap là de dire en amphi ? Je suis bègue.
Malik
Je sens qu’il y a l’acceptation. Je pense qu’à partir du moment où on est à l’aise avec son bégaiement, je pense qu’on est prêt à l’annoncer parce que les gens disent, mais pourquoi tu ne l’acceptes pas ? La question le pourquoi, c’est quand on l’accepte ? Parce que c’est un processus ; tu ne te réveilles pas en disant que ça y est, mon bégaiement est accepté.
Malik
Je ne sais pas si ça a été le cas pour toi, mais pour moi, ça m’a demandé 5 ans d’orthophonie pour accepter enfin le bégaiement. Donc la première année, j’étais encore en cours de l’acceptation et à partir de la deuxième année d’enseignement, là, c’était accepté et j’étais prêt à l’annoncer officiellement aux étudiants.
Donc voilà.
Mike
Selon toi, il y a quelles étapes avant d’arriver à ce niveau-là ? De dire j’accepte que je sois bègue.
Malik
Alors là, je pense que les étapes sont très personnelles. Alors je ne sais pas si ce qui est vrai pour moi le sera pour toi.
Mike
Mais là, il s’agit de Malik.
Malik
D’abord, je pense qu’il faut comprendre son rapport au bégaiement, je pense que c’est quand même très important en tout cas pour moi, ça a été la première étape, comprendre mon bégaiement, comment il arrive. Je pense que toutes les personnes qui ont déjà fait l’orthophonie en ont déjà entendu parler de l’iceberg avec la partie immergée et la partie émergée.
Malik
Donc faire ce travail-là sur mon bégaiement, qu’est ce qui arrive comme tics, comme stress, etc. ? Quel rapport entre mon bégaiement ? Quel lien j’ai fait entre mon bégaiement et les autres ? Parce que, bien sûr, j’anticipais très souvent les réactions des gens, par exemple dans une situation de communication, je faisais attention au gestuel des gens, aux regards, aux sourires. Qui réagit à mon bégaiement ?
Donc c’était presque de la paranoïa. Le fait de chercher tous les signaux qui viendraient me confirmer que l’autre se moque du bégaiement. J’étais enfermé dans un cercle vicieux ou tout était interprété comme un signal de rejet dans le cas du bégaiement, donc, c’était assez. Donc la première étape, c’est comprendre son bégaiement, son rapport aux autres.
Pour moi, c’est super important et dès l’instant que tu comprends ton bégaiement est quel rapport avec ? Je pense que tu es prêt aussi à parler avec les autres.
Mike
Moi, je me souviens de mon orthophoniste qui me disait qu’il faut le déclarer fin. Il faut dire que tu es bègue, même par téléphone, etc. Moi avec mes clients, c’est vrai que j’ai énormément mis du temps à assumer le fait que j’avais un bégaiement, le fait d’en parler librement et j’avais moi, ce sentiment de honte d’accepter, j’avais l’impression que si je disais que j’étais bègue, que les gens allaient voir que ça et du coup ça allait, et les gens se focalisaient que sur le fait qu’il soit bègue et non sur la valeur que j’aurais pu lui rapporter exactement.
Mike
Mais après, je pense qu’avec le temps aussi, comme tu dis, c’est un travail à faire. Il y a aussi une chose ou j’ai énormément mis du temps. J’ai quasiment mis une vingtaine d’années de ma vie à accepter que j’ai le handicap. Pour moi, c’est vrai qu’il y avait cette connotation du handicap. C’est forcément un handicap physique et que le handicap invisible, pour moi, c’était plus un simple trouble de communication que j’étais différent.
C’est un gros travail que j’ai dû faire.
Malik
C’est un aveu de vulnérabilité. C’est un aveu de faiblesse. Et dans notre société, au Sénégal, tu es un homme, donc il faut être fort. Il faut être conquérant, il faut être là, etc. tout ce qui va avec. Et tu dis, mais donc le bégaiement c’est une faiblesse énorme.
Mike
Oui c’est vrai que ça peut être considéré comme une faiblesse, mais moi je le vois plutôt aujourd’hui. Comme on n’a pas eu le choix d’être bègue. Donc de toute façon on l’est et il va falloir qu’on soit fort et du coup, ça ne va donner un peu une force entre guillemets surhumaine. Voilà qui nous permet de garder le cap, de devoir nous battre comme j’ai dû toujours.
Tout dans ma vie a été multiplié par dix que toutes les émotions.
Malik
Tu n’as rien à faire.
Mike
Toute ta vie, c’est toujours dur, dur, dur.
Et forcément, ça forge un peu. Et j’ai longtemps hésité à lancer ce podcast. Tiens, je parle de bégaiement devant tout le monde.
Donc toute la France. Tout le monde entier va savoir que je suis bègue, donc ça veut dire que je ne peux plus masquer. Et tu sais là je reçois tellement de messages des gens qui me remercie d’avoir lancé ce podcast que ça me fait énormément plaisir. Et même les clients qui m’envoient des messages parce que j’ai fait un post sur LinkedIn qui avait buzzer, j’ai des clients qui m’envoient des messages de dire tiens, mais qui me félicite d’avoir lancé cette initiative-là.
Et c’est vrai que moi aujourd’hui j’arrive à parler de bégaiement avec mon entourage, mes clients, etc., mais de là aller m’exposer publiquement comme ça, c’était quand même un autre step, et qu’il fallait arriver à assumer. Aujourd’hui, oui, je le fais avec grand plaisir et c’est une cause. Moi, j’ai raconté mon histoire et là ça me fait plaisir. Du coup, que tu racontes la tienne et que tous les autres bègues et les non-bègues, toutes les personnes en tout cas de cette cause, touchent de venir raconter la leur.
Malik
Exactement et ce qui est bien là-dedans. En tout cas, dans ce processus d’acceptation du bégaiement, c’est qu’il y a quand même un travail dur à faire derrière, qui peut être très long, donc enlever le sentiment de honte. Il y a aussi le sentiment de culpabilité en se disant si ça ne marche pas, c’est de ma faute à moi.
C’est enlever ce sentiment de rejet de soi même et surtout cette sorte de rejet de l’autre. Parce que souvent, en tout cas comme moi, ça a été mon cas à moi qui fait que j’ai vécu mon bégaiement personnellement, individuellement, je n’ai pas accepté que l’autre ait accès à cette partie de moi. C’est quelque chose sur mes sentiments de honte, ce sont mes sentiments de culpabilité, ce sont mes sentiments à moi. Et pourquoi il faut les partager. Déjà que c’est dur pour moi. Pourquoi il faut ramener les autres aussi vers cette partie de moi qui souffrait aussi ?
Mike
En parlant d’acceptation. Pourquoi tu as accepté de participer à cet épisode de Noir et bègue ?
Malik
J’ai accepté parce que déjà j’ai écouté tes potes podcasts qui sont super intéressants et ça me fait très plaisir de les partager à mon tour et de partager aussi cet espace avec toi. Merci, mais j’ai surtout accepté parce que je pense que qui de mieux que les des personnes qui bégaient pour parler du bégaiement ? Et j’ai compris que l’objectif est d’arriver à sensibiliser le maximum de personnes sur le bégaiement et de partager le maximum d’informations sur le bégaiement.
Je me suis dit si je peux contribuer à ça, ce serait déjà très bien.
Mike
En tout cas, un grand merci pour ta contribution.
Malik
Je t’en prie, ça fait plaisir. En tout cas.
Mike
Merci à toi surtout de te livrer et de partager ton retour d’expérience, une partie de ta vie avec nos auditeurs. Est-ce qu’un épisode ou un thème qui a marqué dans Noir et Bègue.
Malik
Un épisode qui m’a le plus marqué ? C’est le dernier, Mike et tout ce qui était raconté avant m’a beaucoup intéressé. Mais ce dernier m’a touché parce que c’est l’état d’esprit dans lequel je suis actuellement. C’est vraiment ce sentiment que nous avons un rôle à jouer. Et pour faire découvrir le bégaiement, sensibiliser, parler, montrer que nous sommes là et que on est aussi important que les autres.
Donc pour moi, c’est vraiment l’épisode qui m’a beaucoup marqué parce que non seulement il est actuel, mais il permet de mettre des mots sur les combats d’aujourd’hui. Et je pense que sensibiliser 66 millions de Français plus les centaines de millions d’Africains francophones, c’est déjà pas mal de personnes à sensibiliser sur le bégaiement et qu’aujourd’hui il y a très peu d’espaces quand même qui nous sont offerts pour le faire.
Donc si on peut en profiter, c’est pour moi. C’est un honneur.
Mike
En tout cas, je suis ravi que tu aies apprécié cet épisode. Donc l’épisode Malik fait référence, c’est bègue à part, il a parlé, donc je vous invite à l’écouter si ce n’est pas le cas.
Malik
Et les autres aussi.
Mike
Les autres.
Malik
Et les autres, c’était en tant qu’entraîneur, parce que c’est quelque chose qui m’intéresse énormément et qui m’a toujours freiné à cause de mon bégaiement. Donc j’ai été très agréablement surpris aussi d’écouter comment on peut entreprendre en tant que personne qui bégaie. Parce que l’entraîneur, et c’est déjà très difficile, c’est beaucoup de stress, c’est beaucoup d’incertitude aussi. C’est beaucoup de challenge à relever.
Alors le bégaiement qui se rajoute à ça ? Donc j’imagine les sentiments, les émotions, les ressentis sont multipliés par 100.
Mike
Par Mille.
Nos vis ne sont pas faciles, mais de toute façon, toi également dans ton métier d’enseignant et c’est pareil. Tu as tes obstacles, tu les surmontes, tout bègue surmonte ses obstacles.
Malik
Exactement, et je pense qu’il y a des jeunes qui veulent entreprendre aujourd’hui et qui sont bègues également et qui je pense qu’ils seront inspirés, parce que tu es présenté.
Mike
Toi aussi par rapport à ton parcours.
Malik
Exactement.
Mike
C’est très ambitieux de dire, il y a un prof qui enseigne dans un amphi, qui a un bégaiement et qui passe au-delà. Je pense que si on arrive à raconter toutes nos histoires mises bout à bout, ça va donner la force à tous les bègues plus jeunes que nous pour se dire que je peux faire ce métier-là, que je peux être prof, que je peux être communicant, que je peux être un ingénieur, etc. C’est vrai que moi, il y a une vingtaine d’années, je n’avais pas assez de visibilité là de dire que malgré le bégaiement je pouvais arriver.
Mike
Donc je n’avais aucune visibilité sur l’avenir pour. Moi donc le monde je le dis, je me disais, mais dans quel monde je vais vivre exactement ? Me faire bouffer, comment c’est ça ?
Malik
Et surtout, moi, je porte, je reprends toujours l’image de l’ado ou de l’adolescente qui est super isolée et qui au lycée, qui est au collège et qui s’est dit, mais comment est ce que je vais faire ? Parce que je me souviens de mes premières années de recherche de boulot. Je me souviens des deux. C’est qui marque la quand même de quelqu’un, d’un être humain, mais c’est quand même très difficile, c’est compliqué.
Et puis avoir des références aujourd’hui, des personnes qui viennent chercher, nous dire que c’est possible d’avoir ces références-là parce que malheureusement, c’est des références qu’on a aujourd’hui. C’est Bayden, ces discours de roi, c’est bien moi. J’ai dit que c’était très bien, mais on a aussi besoin des références, des personnes comme nous de tous les jours, qui sont profs, qui sont des entrepreneurs, qui sont commerciaux, qui sont nouvelles.
Malik
Ce n’est pas des gens comme nous.
Mike
Des gens lambda,
Malik
Des gens lambda qui sont bègues et qui viennent raconter à ces gens-là ce n’est pas impossible et que tu n’es pas tout seul parce que présenter des stars de télé c’est super intéressant, des présidents c’est super intéressant, des acteurs c’est super intéressant. D’ailleurs ils ont été remarqués durant très longtemps en tant que politiciens, mais, et en tant que bègues.
Malik
On a fait passer les propos, mais s’est dit qu’on a besoin aujourd’hui de références accessibles.
Mike
Et aujourd’hui, comment tu gères ton bégaiement ? Est-ce que tu as des astuces ? Mais comment ça fonctionne et comment Malik fonctionne au quotidien ? C’est le bégaiement à chaque instant ou est ce qu’il a développé des techniques ? Il est à l’aise. Et comment ça se passe dans ton univers ?
Malik
Alors avant, je vivais bégaiement 24h et même dans mes rêves.
Mike
C’est déjà ça.
Malik
Voilà, c’est déjà ça. C’est quand même très bien. Comment je gère le bégaiement au quotidien, alors ? Tout dépend de l’interlocuteur. Dans la vie de tous les jours à la maison, mes amis, je n’y pense plus. Aujourd’hui, j’ai bégaie, je bégaie et c’est comme ça. Si ça devient très sérieux, avec des enjeux professionnels, ça, c’est autre chose. Alors là, il faut toute une préparation.
Malik
Il faut aussi et en fait ce que j’ai fait aujourd’hui. La première. Le premier réflexe, c’est parler du bégaiement. Le bégaiement, il a horreur de la lumière. Parler du bégaiement. Dire à l’interlocuteur qu’on bégaie avec des mots écorchés et qu’il ne faut pas hésiter à me relancer si besoin. Déjà, parler du bégaiement. C’est la première chose que j’ai faite aujourd’hui.
Malik
Ça libère énormément et ça permet aussi d’enlever la pression. Mais à quel moment je vais bégayer ? Parce que la pression d’anticiper le bégaiement, c’est fatiguant quand même.
Mike
Est-ce qu’aujourd’hui tu as toujours cette pression-là de vouloir anticiper non.
Malik
Dès l’instant que j’en parle de laisser l’autre laisser sa responsabilité aussi de faire attention à ça. Et que la deuxième chose que je fais quand même, c’est mettre l’autre à l’aise. Bon, il y a toujours l’anecdote du voisin qui dit bonjour et qui passe et n’attends pas la réponse et nous.
Mike
Et des fois, un jour, j’ai le même. J’ai une personne, mais qui pensait que c’était même un impoli parce que je n’ai pas eu le temps de lui répondre ?
Malik
Et je pense que ça, c’est quelque chose que nous partageons tous. Ballots de paille simples, entrée et sortie ascenseur. Bonjour, le temps que tu es l’autre déjà partit. Donc tu passes pour un impoli à tous les coups des rumeurs, des voisins et de la concierge. Comme quoi le voisin du cinquième, alors que ce n’est pas le cas.
Malik
Donc c’est ce que j’ai fait. J’ai dit à la concierge et je bégaie. Et en général le bonjour. L’autre est déjà parti donc malheureusement il n’aura pas le privilège d’être entendu. Ma réponse.
Mike
À ce dommage pour lui ou pour moi, je peux.
Malik
Lui faire, elle. Et ce que j’ai fait, c’est que j’en ai parlé au voisin proche quand même que des fois. Le bonjour, en réponse tu viens tardivement et je. Je pense que le fait de le dire permet de créer une situation de communication, les apaiser.
Mike
Moi ce que je faisais, c’est du coup, quand je savais que le mot allait arriver un peu plus tard, je fais d’abord un signe, au moins pour voir que j’avais accusé réception du message.
Malik
Qui aura le temps de renvoyer cette confirmation. Il fallait prendre le temps que ça allait prendre. Mais c’est vrai que moi, ça a toujours été quelque chose de frustrant. Quand on te dit bonjour et que la personne est pressée et que moi je fonctionne finalement avec le contact humain et le contact visuel conséquent te dit bonjour. Qui est en face de toi et que tu vas lui répondre comme le compte dit bonjour et la personne est déjà derrière elle.
Mike
Donc si tu dois porter ta voix, c’est exactement bien pour être plus fort.
Malik
Justement, c’est ça. Et ce qui est dommage, c’est que, en fait, on a envie de communiquer. On a envie d’échanger des stratégies. C’est le sourire. D’ailleurs, je me rappelle à la fin qu’on m’a reprochée une fois de trop sourire, j’ai dit, mais c’est bien d’avoir quelqu’un qui sait faire autant, c’est mieux que quelqu’un qui amène, qui fait la tête.
Malik
Ça a été ma réponse, mais c’était un mécanisme de.
Mike
Parce que moi, tu sais, le sourire m’a beaucoup aidé parce que je bégaie. Et moi, quand je souris d’abord avant de dire bonjour, ça me permettait de détendre les muscles. Ça, c’est une technique que je pratique encore, même aujourd’hui. Et donc, avant de parler, je vais d’abord sourire. Ça a l’air de lâcher prise.
Malik
Exact.
Mike
Quand je viens, je pense, bégaiement. J’ai plutôt tendance à bégayer alors que quand je viens, elle sourit. D’abord, je dis bonjour, Malik, et tout est plus fluide. J’accompagne mieux mes mots. Et après ? Bon, c’est des techniques très développées sur une dizaine d’années. Mais c’est vrai qu’il y a quinze ou 20 ans, même avant de sortir, bonjour, j’ai dit qu’il ne faut pas la crisper, c’est sa chance.
Mike
Alors que là, aujourd’hui, je me dis bon, même si je peux bloquer. Mais je veux d’abord sourire. Et après, avec toutes les techniques, j’ai pu faire depuis dix ou quinze ans, j’arrive à avoir en gros un contrôle et ce qui m’a aussi aidé quand j’ai repris moi, l’orthophonie, c’était toutes les attaques. Fort de commence et de hacher le b.
Mike
Le bonjour en jour et les gens ils entendent en jour, mais en soi tu n’as pas entendu le B, mais ça arrivait quand même à m’aider dans toutes les situations et vous savez que le bon jour il n’allait pas sortir et c’est jour. Et bien moi des fois je me dis j’ai dit onze jours, mais je ne dis pas bonjour durant le jour, mais tu as compris le sens.
Malik
C’est déjà ça. Exactement. Sinon, tu dis salut. Après, c’est moins formel.
Mike
Oui, c’est vrai que j’ai du mal avec le mot pour me dire c’est rare que je sors le mot salut.
Je comprends bien. Que tu as Hello aussi.
Malik
C’est moins formel, mais ça permet au moins de paraître moins impoli. Oui, voilà, c’est voilà. Mais vraiment, les stratégies dépendent des situations de communication et de l’interlocuteur. Ou est-ce.
Mike
Que tu as une anecdote positive ou négative que tu peux nous raconter de ta vie de bègue ?
Malik
De l’anecdote, ce serait plutôt négatif.
Mike
Bon.
Malik
J’en ai aussi du positif après négatif. En fait, ça m’a marqué jusqu’à présent. Avant d’être chargé de cours pour un professeur mondialement connu, bref, qui proposait des cours de TD. Je voulais proposer mon aide. En tout cas, hier, j’ai amené mon CV là-bas, il a trouvé intéressant. Donc il voulait me prendre dans je dis, mais vous savez, je bégaie.
Il m’a dit je veux vous embaucher, mais vos émotions, ce n’est pas à moi de les gérer. Ça m’a choqué, alors ça m’a choqué pour deux raisons non seulement d’associer le bégaiement à de l’émotion, alors que ce n’est pas le cas, et deuxièmement, c’est comme si mon problème ne l’intéressait pas. C’est comme si le bégaiement, ce n’est pas important et que pour lui, les émotions, c’est un aveu de faiblesse et de vulnérabilité devant les élèves.
Le fait de bégayer, pour moi, c’est resté longtemps marqué quand même, alors que j’avais à l’époque, j’avais 25 ou 26 ans, donc un jeune qui rentraient dans un enseignement. Le fait d’entendre une référence qu’on a toujours respectée nous réduire à des émotions, pour moi, c’était terrible quand même. Et jusqu’à présent, ça me frustre quand même.
Malik
Je n’ai pas eu l’occasion de parler avec lui, mais d’ailleurs je regrette de ne pas lui répondre sur le coup.
Mike
Et c’est énorme quand même ce qui s’est passé, parce que je pense que cette personne a une méconnaissance totale du bégaiement, c’est qu’il est consolidé un peu par tous les préjugés. Pour lui, le bégaiement, c’est une émotion.
Un trouble de la communication et non un handicap invisible. Donc c’est un peu tout le travail aujourd’hui qu’on essaie de faire. Donc on essaie d’imaginer si un prof à ce niveau-là tient des propos comme ça.
Malik
Exactement.
Mike
Vous imaginez bien que le professeur des écoles ou au prof au collège ou au.
Malik
Ne Le rend pas forcément bégaiement ?
Malik
C’est tout le problème aujourd’hui du système. C’est les jeunes qui rentrent dans le monde professionnel qui s’entendent, qui entendent des réflexions comme ça, qui n’existent pas. Pour moi, c’est terrible quoi. C’est terrible et ça, ça amène beaucoup à passer à côté des carrières, des métiers, des passions qu’ils auraient pu faire très bien. Mais parce qu’on les réduit à des émotions quand même.
Malik
Moi je dis c’est c’est terrible quand même.
Mike
Comme je dis toujours que c’est un peu une thérapie ici est en face de toi. Qu’est-ce que tu lui dirais à ce monsieur le beau ?
Malik
Il est autorisé ou pas ?
Mike Oui.
Mike
Il n’y a pas de censure. Mais je sais qu’il y a des enfants qui n’écoutent pas assez ça.
Malik
Exactement. Moi je lui aurais dit qu’il était CON pour commencer et je lui aurais dit écoutez, professeur, je respecte énormément, mais je crois que ce que vous ne me méritiez pas. Je pense que vous êtes une sommité mondiale, mais que mes services sont appréciés ailleurs. Et si vous nous réduisez aux émotions, c’est que vous êtes mal informé sur le bégaiement.
Et là, je vous à aller visiter le site de l’APB qui était très et vous rendre plus intelligent et tolérant envers nous. Et je pense que ce serait une très bonne réponse, il y a dix ans, voilà plus de dix ans.
Mike
Il n’est pas trop tard. Au moins un jour, peut-être qu’il écoutera ce podcast s’il souhaite.
Malik
Je l’espère en tout cas vraiment, il se reconnaîtra très bien.
Mike
En vous. Très bien.
Malik
C’est exactement ça.
Mike
Et pour continuer dans le bégaiement, as-tu d’autres projets à venir qui traitent qui parle du bégaiement ou d’autres ambitions, d’autres initiatives à venir ?
Malik
Beaucoup de projets, vraiment je suis, y en ont pas mal. Alors je vais juste en citer deux parce que pour moi, c’est très important. Le premier, c’est pour, c’est avec des personnes qu’on a rencontrées, avec le bégaiement. Et l’idée, c’est de partir dans les collèges et les lycées pour sensibiliser et parler de l’intéressant. Pour nous, c’est super important et c’est surtout que l’information n’est pas accessible à tout le monde.
Malik
Et si on arrivait au moins à sensibiliser les jeunes, les adolescents, surtout ceux qui sont isolés parce qu’il y en a pas mal, qui, eux qui auraient aimé entendre des histoires qui ressemblent aux leurs et savoir que des solutions existent. Aujourd’hui, il y a le tiers temps et il y a les répétitions au bureau. Il y a aujourd’hui pas mal d’actions qui arrivent aujourd’hui et qui permettraient ne seraient ce que d’offrir au moins une information à ces gens-là et que ça existe.
Malik
Et l’autre objectif, c’est quand même parler avec les enseignants et les personnes qui ne bégaie pas, que nous sommes là et qu’il y a des moqueries, des des petites choses qui marquent et nous frustrent et qui ne contribuent pas au bien être des personnes qui bégaie. Les premiers projets, pour l’instant, ce n’est pas encore réalisé, mais on aimerait vraiment faire ça.
Mike
C’est tout ce que l’on souhaite en tout cas, toi et tes collègues, pour ce projet que je trouve vraiment intéressant, c’est qu’à l’époque, j’aurais bien aimé avoir des intervenants extérieurs. Venir parler du bégaiement, je pense que c’est aussi une façon de reconnaître ma souffrance. Exactement qu’à cette époque là, donc, ça aurait été vraiment un plus exactement.
Malik
Et si on peut inviter des parents d’élèves, ce serait mieux encore que c’est vrai que nous parlons des personnes qui bégaient, mais il y a quand même l’entourage de la personne et je pense que mes parents, ils auraient été informés à l’époque. Pour que tout ça existe, je pense qu’ils auraient fait autrement les choses, même si pas pas en train de les accuser.
Malik
Je pense qu’ils ont fait avec les moyens du bord. Mais maintenant qu’on est informés, c’est à nous de partager l’information.
Mike
Et si tu avais un conseil à donner aux personnes qui bégaie au travail, dans leur vie personnelle ou tout simplement dans la communication avec les autres ? Quels seraient tes conseils ?
Malik
Mais c’est vrai que c’est, c’est que le bégaiement a horreur de la lumière. Plus on en parle et mieux on arrive à le gérer. Pour moi, c’est le premier conseil et en tout cas, ça m’aide beaucoup aujourd’hui. Le deuxième, c’est accepter de se faire aider. C’est très important quand même. Il y a des orthophonistes spécialisés, des bégaiements et je pense que même si le bégaiement ne disparaît pas pour certains, mais au moins on a des outils qui permettent de le gérer au quotidien.
Malik
Et le troisième, c’est de se dire qu’on n’est pas tout seul. Voilà qu’aujourd’hui, ça touche pour tout un espace. Il est chiffré et toujours d’actualité à utiliser. Je ne pense pas être plus. Nombreux, mais je pense aussi l’APB. Il faut revoir les chiffres.
Malik
C’est pas moi qui dit ça, mais je suis étonné quand même parce que je pense qu’il y a, il y a les mosquées qui n’en parlent pas ou qui ne sont pas répertoriées également, tout simplement. Donc je pense qu’on est plus nombreux que ça. Mais voilà qu’on n’est pas tout seul. Et le dernier conseil à ces personnes-là, c’est assumer qui vous êtes parce que c’est très compliqué.
Malik
Je sais, ça demande de l’acceptation un parcours, de travailler sur soi même, mais si on y arrive, c’est pas mal. Dernier conseil, ne vous censurez pas. Surtout à partager vos opinions, vos pensées. Et le courage aussi de l’être de vous-même. Parce que des sentiments de désir, pas de RC, c’est terrible.
Mike
Et si tu avais un conseil à donner au non big.
Malik
Ben au Nobel, je leur dirai aller vous informer ? Voilà. Pour moi, c’est le premier d’une chose, c’est être informé. Après, bien sûr, il faut que l’être humain soit accessible. Déjà, il faut savoir ou la chercher. Mais je pense qu’avec Internet, aujourd’hui, avec l’APB, avec les sites, avec le bégaiement, avec initiatives de Mike, avec tout ce qui est fait aujourd’hui par les jeunes aujourd’hui qui essaient de créer des supports quand même, c’est possible aujourd’hui quand même.
Malik
Dès les premiers concerts, c’est vraiment de se renseigner. Le deuxième, c’est d’éviter les raccourcis, d’éviter de nous résumer quelque chose qu’on ne connaît pas. Les émotions, qui est trop stressée, respirer un peu, faire comme si fait comme. Arrêtez de conseiller les personnes qui bégaient parce que des conseils qui en plus sont mal placés ou qui ne reflètent pas la réalité de ce qu’ils ressentent réellement.
Malik
Et pour moi, c’est quand même assez réducteur et ce n’est pas bien.
Mike
Et si tu devais faire un constat et donner ton avis sur la sensibilisation liée au bégaiement aujourd’hui, quel est l’état des lieux ?
Malik
Il n’est pas terrible. Le constat, il est derrière les schémas, il est encore très long. Je pense que nous essayons quand même d’en parler le maximum possible. Mais comme tu disais, les initiatives individuelles, c’est très bien. Mais aujourd’hui, il y a le rôle de l’État qui est quand même d’aller chercher en tout cas plus de personnes à sensibiliser.
Malik
Donc le constat, il n’est pas élogieux aujourd’hui quand même. Le chemin est encore très long. Il y a beaucoup à faire et il y a beaucoup à faire. Et surtout, il y a beaucoup à déconstruire sur le bégaiement. Et je pense que le plus dur, c’est arriver à déconstruire tous ces préjugés, tous ces raccourcis que les gens, ils ont sur les bégaiements.
Malik
Ça fait un travail énorme.
Mike
Mais comme tu disais tout à l’heure, le chemin est long et moi j’ai juste rajouté quelque chose malgré que le chemin soit long. Au moins, on est sûr d’une chose qu’on a sur le bon chemin.
Malik
Exactement ça, ça reste.
Mike
Très, très long, mais on est sur le bon chemin.
Malik
Et il va être très long. Mais non seulement on est sur le bon chemin, mais nous avons aussi l’ambition d’aller le plus loin possible. Et je pense que la prétention, ce n’est pas de tout faire. C’est juste d’apporter notre pierre à l’édifice et de laisser les générations futures continuer ce travail-là parce qu’il est tellement énorme. Tu es en énergie parce que ce pas facile, on va y arriver.
Malik
C’est ça exactement ?
Mike
M’écoute, merci beaucoup en tout cas, Malik, d’avoir accepté cette invitation et de nous avoir partagé ton retour d’expérience, ta vie et les bons et les mauvais moments et tous les conseils que tu as pu donner durant cet épisode. As-tu un mot de fin pour conclure ce témoignage ?
Malik
Le mot de la fin, c’est oser être vous même. Malheureusement, le bégaiement nous amène très souvent à vouloir être quelqu’un d’autre parce que ça paraît plus facile à supporter. Et quand on arrive enfin à comprendre qui on est avec notre bégaiement, je pense que nos enfants vont se faire découvrir. Donc, soyez vous même et surtout ne laissez pas les autres décider qui vous devez être.
Malik
Pour moi, c’est très important.
Mike
Merci beaucoup pour ce très beau message.
Malik
Et t’en prie.
Mike
A très bientôt
Malik
A très bientôt Mike.
Mike
merci beaucoup d’avoir écouté ce podcast. J’espère qu’il vous a plu de continuer été. C’est avec beaucoup d’amour et d’amour, ça se partage. Retrouve également les notes de l’épisode Noiretbegue.fr